Comment faire mieux (Discours de Kristalina Georgieva Directrice générale du FMI, Assemblées annuelles 2024)

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Merci, Monsieur le Gouverneur, et bonjour à toutes et tous !

C’est un privilège pour moi de m’adresser à vous au nom des membres talentueux et dévoués des services du FMI, aux côtés d’Ajay Banga, qui est un partenaire formidable depuis son entrée en fonction. Ajay, je ne saurais dire à quel point j’admire vos qualités de président de la Banque mondiale et j’estime notre partenariat — le nôtre, et celui de nos institutions !

Je voudrais commencer par une bonne nouvelle : l’inflation est en train de se replier. Selon nos Perspectives de l’économie mondiale, l’inflation au niveau mondial devrait passer de 5,7 % au quatrième trimestre de l’année dernière à 5,3 % ce trimestre, et 3,5 % au quatrième trimestre de 2025 — et les pays avancés devraient enregistrer une baisse plus rapide. Le resserrement des politiques monétaires a fonctionné sans briser l’économie mondiale. Quel soulagement !

Mais il est encore trop tôt pour se réjouir, notamment parce que, même si l’inflation recule, ce niveau élevé atteint par les prix va persister. Des familles souffrent.

Et la perspective à laquelle le monde est à présent confronté est celle d’une trajectoire de croissance faible et d’endettement élevé :

Selon nos projections, le PIB mondial devrait croître au taux anémique de 3,2 % par an en moyenne au cours des cinq prochaines années. Voyez comment nos prévisions ont été constamment révisées à la baisse au fil des ans.

Dans le même temps, nous prévoyons que la dette publique mondiale ne cessera d’augmenter — elle risque même de dépasser nos projections de référence de pas moins de 20 % du PIB mondial dans un scénario défavorable extrême mais plausible. Cent mille milliards de dollars de dette publique dans le monde. Des paiements d’intérêts plus élevés absorbant une part croissante des recettes budgétaires, en particulier dans les pays à faible revenu et les pays émergents. Tout cela alors que les pressions sur les dépenses s’accumulent.

Les dépenses prioritaires sont celles qui sont liées au climat et à la démographie et, dans les pays émergents et les pays à faible revenu, les dépenses d’investissement visant à combler les écarts de développement. Les recherches du FMI montrent que d’ici à 2030, ces pressions sur les dépenses devraient ajouter environ 7 % du PIB aux dépenses annuelles dans les pays avancés, 9 % dans les pays émergents, et 14 % dans les pays en développement à faible revenu.

À cela vient s’ajouter un contexte mondial en pleine fracturation, où les échanges commerciaux ne sont plus le puissant moteur de croissance qu’ils étaient autrefois. Le désengagement de l’intégration économique mondiale — impulsé tant par des préoccupations de sécurité nationale que par la colère de ceux qu’elle a lésés — se manifeste par une multiplication de mesures de politique industrielle, de barrières commerciales et de pratiques protectionnistes.

Il y a beaucoup à faire.

Mon message à nos pays membres est le suivant : premièrement, changez de cap pour reconstituer des marges de manœuvre budgétaires ; deuxièmement, investissez dans des réformes visant à stimuler la croissance ; et troisièmement, affrontez ensemble les défis mondiaux.

Avec l’assouplissement de la politique monétaire, il faut dès à présent entamer un rééquilibrage des finances publiques. Pour être crédible, il faudra persuader les opinions publiques par une communication convaincante, et établir des plans budgétaires pluriannuels définissant des trajectoires d’assainissement adaptées à la situation particulière de chaque pays.

La tâche n’est pas aisée. Les pouvoirs publics sont confrontés à un dilemme, ou plus exactement, à un trilemme : d’importants besoins de dépenses, des limites fiscales infranchissables, et la nécessité de reconstituer les marges de manœuvre.

Pour bien des pays, la résolution de ce casse-tête passera nécessairement par la mobilisation de ressources intérieures. Il faudra protéger les investissements stimulant la croissance, notamment dans les domaines du climat et de la technologie –– et veiller à ce que le rééquilibrage ne se fasse pas aux dépens de la protection sociale et de l’emploi.

Le FMI peut vous aider. En Jamaïque, par exemple, les autorités ont gagné l’adhésion de la population à un train de réformes des recettes et des dépenses élaboré avec soin qui a protégé l’investissement public et les dépenses sociales tout en réduisant l’endettement de près de moitié entre 2012 et 2022. Au cours des trente dernières années, plus de 20 pays sont parvenus à accroître leurs recettes fiscales de plus de 5 % du PIB. Les bons exemples sont nombreux.

Tout en rééquilibrant leurs finances publiques, les pays devront engager des réformes ambitieuses pour relever leur potentiel de croissance. Non seulement l’élévation de la croissance contribue à la création d’emplois bien rémunérés, mais encore elle accroît les recettes fiscales et rend ainsi le trilemme budgétaire moins aigu.

Les réformes à engager devront comprendre des mesures ciblant le marché du travail telles que l’amélioration des compétences et l’adéquation à l’emploi, des mesures tournées vers le marché des produits visant à réduire les formalités administratives et mobiliser l’épargne, et des mesures spécifiques visant à encourager l’innovation et accroître la productivité. Dans les pays avancés, le capital-risque et l’intégration du marché des capitaux sont des priorités essentielles ; ailleurs, il faudra mettre l’accent sur des mesures d’amélioration de la gouvernance et des institutions.

De réels progrès sont possibles. Une nouvelle étude du FMI montre que la meilleure façon d’élaborer des réformes est de le faire en concertation avec la population, en y intégrant des mesures qui en atténuent les effets sur ceux qui risquent d’en sortir perdants.

Mais les politiques publiques au niveau national ne suffiront pas. Pour affronter les défis mondiaux d’aujourd’hui, nous avons besoin –– plus que jamais –– de coopération et d’action multilatérale. Le FMI et la Banque mondiale ont ici un rôle essentiel à jouer.

Prenons la question de l’endettement. Les pays au bord de la crise budgétaire doivent prendre des mesures préventives pour rétablir la viabilité de leur dette. Le FMI s’est donné pour priorité de remédier aux facteurs de vulnérabilité de la dette et d’améliorer la résolution de la dette, et les efforts qui ont été faits portent maintenant leurs fruits. Le cadre commun a déjà permis des avancées notables au Ghana et en Éthiopie –– même s’il reste à améliorer la prévisibilité et accélérer les délais de traitement de la dette.

Les progrès ont été soutenus par une coopération renforcée entre les parties prenantes à la Table ronde mondiale sur la dette souveraine, qui a contribué à l’émergence d’un consensus sur les questions techniques.

Dans le climat géopolitique surchauffé que nous connaissons actuellement, la coopération n’est pas un acquis. C’est pourquoi le FMI s’efforce dans toutes ses activités d’apporter à ses pays membres une aide utile et adaptée à leurs besoins.

Dans le cadre de nos activités de surveillance bilatérale, nous fournissons en temps opportun des diagnostics et des conseils pour aider les pays à mettre en œuvre des politiques économiques solides. Pendant la pandémie, ces activités ont été essentielles pour aider les pays à élaborer rapidement des ripostes coordonnées, en dépit de la grande incertitude.

Les sujets de nos consultations régulières avec les pays membres varient de l’aide au développement institutionnel dans les pays fragiles ou touchés par un conflit, à la gestion des flux de capitaux dans les pays émergents, et aux conseils sur des points précis de la politique de taux directeurs dans les pays avancés. Nous avons également approfondi notre analyse des questions de politique macroéconomique que posent la transition écologique et la transition numérique.

Nous réunissons ensuite tous ces éléments dans le cadre de nos activités de surveillance multilatérale pour en tirer des enseignements transversaux utiles à tous. Là encore, l’objectif est de détecter et de traiter les problèmes promptement. C’est précisément ce que nous faisons dans nos rapports phares : les Perspectives de l’économie mondiale, le Rapport sur la stabilité financière dans le monde et le Moniteur des finances publiques.

Enfin, nous menons des activités de développement des capacités. Au cours des cinq dernières années seulement, nous avons effectué des milliers de missions d’assistance technique, dans le cadre desquelles nous avons transféré des connaissances et créé une mine de bonne volonté.

En bref, nous sommes la ligne de transmission essentielle dans le monde pour les échanges d’expériences nationales entre nos pays membres.

Le FMI joue aussi un rôle unique de prêteur au centre du dispositif mondial de sécurité financière.

Nous sommes les premiers intervenants en période difficile. Les pays –– en particulier les pays les plus pauvres et les plus vulnérables –– savent que nous sommes là pour les rattraper en cas de chute.

Nous avons développé nos prêts pour soutenir les réformes et aider les pays vulnérables à répondre à leurs besoins de financement de la balance des paiements et à renforcer leur résilience face à des chocs multiples.

La Barbade et le Bénin, le Cabo Verde et le Costa Rica, la Moldova et le Maroc, le Suriname et le Sri Lanka, pour n’en citer que quelques-uns : la liste des récents succès de programmes appuyés par le FMI est longue.

Dans les années qui ont suivi l’apparition de la pandémie, nous avons atteint des records tant pour le volume total de nos prêts que pour le nombre de pays aidés : l’encours des crédits concessionnels au titre de notre fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance a triplé pour atteindre 28 milliards de dollars. Et, moins de trois ans après son lancement, le fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité a permis à 20 pays de bénéficier de prêts à long terme à l’appui de mesures de renforcement de la résilience face au changement climatique.

Nous exposons actuellement au FMI une œuvre d’art qui représente superbement le volume des prêts que nous avons consentis au fil des décennies –– le rendu est vraiment remarquable, venez-donc vous en rendre compte par vous-même !

L’augmentation de 50 % des quotes-parts dont nous sommes convenus l’an dernier à Marrakech consolide notre capacité de prêt. Sur cette base, nous continuerons d’affiner nos outils. En renforçant le rôle de prêteur du FMI et les facilités de crédit de précaution, nous renforçons le dispositif mondial de sécurité financière. Tous les pays ont à y gagner –– parce que moins il y a d’instabilité, plus le monde entier va bien, et parce qu’en regroupant les ressources, on est plus efficace.

L’aide du FMI est essentielle pour les pays dont la capacité à constituer des réserves internationales est limitée –– d’autant que cinq pays détiennent plus de la moitié des réserves mondiales totales tandis que de nombreux pays restent peu protégés.

Au FMI, nous venons d’avoir un excellent exemple de coopération à la veille de ces assemblées annuelles. Grâce à plusieurs années de revenu net élevé, notre conseil d’administration a adopté un ensemble de mesures qui, premièrement, préserveront la solidité financière qui étaye notre soutien à nos pays membres, deuxièmement, réduiront les commissions et commissions additionnelles sur nos prêts ordinaires de 36 % en moyenne, et, troisièmement, nous permettront de mettre en place un train de réformes et de financement complet qui fera plus que doubler notre capacité de prêts concessionnels et solidifiera notre soutien aux pays à faible revenu pour plusieurs années.

Au-delà du fond de ces réformes importantes, permettez-moi de souligner que nous sommes parvenus à obtenir un soutien unanime. Pas un seul pays membre n’a émis d’opposition.

Ce n’est pas dû à la chance – il nous a fallu travailler très dur pour cela, et nous nous y sommes repris maintes fois avec nos pays membres pour arriver finalement à un résultat satisfaisant pour tous.

 

Il y a là une leçon pour les années à venir. Quelle que soit la difficulté de la situation géopolitique, nous pouvons œuvrer à préserver l’esprit de coopération concrète et réalisable. Les pays n’adhèrent pas à un projet par idéalisme ou par charité, mais parce qu’ils comprennent qu’il est dans leur intérêt.

Pour bien faire notre travail, nous devons viser l’inclusivité. Dans cet esprit, je vous prie d’accueillir chaleureusement le Premier ministre Daniel Risch et son équipe, qui sont ici pour représenter notre nouveau membre, le 191e : la Principauté de Liechtenstein.

Nous ne devrons jamais cesser non plus de viser une représentation équitable du monde dans lequel nous vivons. Notre conseil d’administration et les pays membres travaillent actuellement à l’élaboration, pour le mois de juin, de démarches qui pourraient être adoptées pour mieux refléter le poids de nos différents membres dans l’économie mondiale, notamment par l’établissement d’une nouvelle formule de calcul des quotes-parts.

De même, la participation est importante. J’ai le grand plaisir d’annoncer que le 1er novembre, notre conseil d’administration accueillera un troisième administrateur pour l’Afrique subsaharienne, ce qui permettra à cette région de mieux se faire entendre.

Enfin et surtout, la coopération ne se fait pas dans le vide. Au FMI, nous comptons sur la solidité des institutions et sur l’excellence des membres de nos services pour soutenir nos pays membres. Applaudissons-les !

Permettez-moi de conclure par une anecdote.

En cette année qui marque le 80e anniversaire de la conférence historique de Bretton Woods, Ajay et moi avons décidé de nous rendre dans notre lieu de naissance. Accompagnés d’un groupe d’éminents intellectuels, nous sommes partis pour deux jours réfléchir et nous inspirer de nos fondateurs : des hommes qui, même dans les jours les plus sombres de la guerre totale, ont su façonner un monde nouveau. Et voici ce que nous avons compris : si Keynes et White pouvaient faire briller une lumière dans un tunnel aussi sombre, alors il est clair que notre mission est de porter leur flambeau.

Le ciel au-dessus de Bretton Woods a été triste et sombre pendant l’essentiel de ces deux jours, le mois dernier. Et puis, soudain, le soleil a percé, et la nature nous a offert un magnifique double arc-en-ciel. Au-dessus des couleurs chaudes du feuillage d’automne sur le mont Washington, c’était tout simplement spectaculaire. Il n’y a pas d’autre façon de le dire.

Pour nous, c’était un magnifique présage —et un rappel que le soleil est toujours là, ce ne sont que les nuages qui vont et viennent. Nos fondateurs nous ont laissé un héritage pour dépasser les périodes sombres. Et c’est ce que nous ferons, parce que nous savons que c’est possible.

Merci !

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