Depuis le début de l’année, il y a un certain nombre des mesures qui ont été prises pour la conduite de la politique monétaire de manière générale, mais aussi pour contenir les pressions qui amenaient la dépréciation du taux de change. Il y a d’abord l’augmentation du coefficient de la réserve obligatoire sur les dépôts à vie en monnaies nationales, qui est passé de 0 à 10% au mois de juin ; les Bons BCC ; la vente de la devise, soit 300 millions de dollars Us depuis le début de l’année, sans oublier l’augmentation du taux directeur pour renforcer ses autres actions du point de vue de la liquidité excédentaire. Pour Mme Malangu Kabedi Mbuyi, Gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), toutes ces actions prises par la Banque centrale ont besoin d’être complétées, de façon que notre pays puisse s’engager pour longtemps dans une période où il y a stabilité des prix, stabilité du taux de change, appréciation du taux de change, très importante pour réduire le niveau de dollarisation de l’économie. Elle pense qu’il faut compléter ces mesures par des actions à court terme, à moyen et long terme.
Mme Malangu Kabedi Mbuyi, Gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), a accordé une interview à trois journalistes triés à la volée de la Rtnc, L’Avenir et Zoomeco. C’était une occasion pour permettre à la n°1 de la BCC de donner des précisions sur les dernières conclusions de la réunion du Comité de politique monétaire qu’elle a présidée, le 08 août 2023.
Nombreux sont ceux-là qui ont voulu savoir le pourquoi de cette réunion extraordinaire. En réponse à cette préoccupation, le Gouverneur de la BCC a expliqué que les réunions du Comité de politique monétaire se font avec une cadence trimestrielle avec un calendrier qui est d’ailleurs publié sur le site de la Banque centrale du Congo (BCC). Mais, la conduite de la politique monétaire est basée sur l’observation des évolutions aussi bien de l’économie nationale qu’au niveau de l’économie internationale. Bien que la dernière réunion avait eu lieu le 19 juin et la prochaine devait avoir lieu en septembre, l’évolution de la situation macroéconomique, particulièrement en ce qui concerne l’inflation et le taux de changes appelait une rencontre au niveau du Comité de politique monétaire pour discuter de cette évolution et voir les mesures éventuelles à prendre. Voilà pourquoi c’était une réunion qui se faisait en dehors du calendrier trimestriel de la Banque centrale.
Trois facteurs importants
A la question de savoir, quelle est la lecture de la BCC de l’évolution de la conjoncture économique nationale ? Mme le Gouverneur a expliqué que le taux directeur, c’est un instrument que la Banque centrale utilise pour renforcer l’efficacité de ses actions de gestion de la liquidité excédentaire. Mais un instrument important par rapport à ça, ce sont les Bons BCC qui sont émis par la BCC et souscrits par les banques commerciales. Et donc, un relèvement du taux directeur permet de rendre les Bons BCC plus attractifs, parce que c’est la rémunération que les banques touchent sur les bons BCC qu’ils vont souscrire. Ça permet aussi de rendre les Bons du trésor en monnaie nationale plus attractifs, parce que le taux d’intérêt payés sur les Bons du trésor en monnaie nationale sont basés sur le taux directeur de la Banque centrale. Ce relèvement a été plus important que celui que nous avons eu à faire dans le passé, sur base de trois facteurs importants.
Parlant du premier facteur, la Gouv’ dit avoir constaté que les mesures mises en place depuis le début de l’année nous ont permis bien sûr de renforcer la gestion de la liquidité dans le système bancaire, mais l’inflation reste quand même élevé. « Nous avons sur cette base-là décidé de relever le taux directeur à 25%. Lorsque le Comité de politique monétaire s’est réuni les 19 juin et qu’on regardait les attentes par rapport à l’inflation, on voyait qu’en glissement annuel, l’inflation pouvait arriver à 19%. Mais avec les accélérations qu’il y a eu au mois de juillet, on a constaté que l’inflation en glissement annuel serait plus importante que le 20%. En relevant le taux directeur à 25%, cela nous permet de renforcer l’efficacité de la Banque centrale dans la gestion de la liquidité excédentaire.
Au sujet du 2ème facteur, retenons que lorsque nous analysons les perspectives d’ici la fin de l’année au niveau de l’économie internationale, on voir qu’il y a beaucoup d’incertitude, mais également d’inquiétude par rapport à ce qui pourrait arriver aux prix des produits alimentaires sur les marchés internationaux. Si jamais il y a une augmentation de ces prix, ça va nous amener une inflation additionnelle. Donc, il vaut mieux qu’au niveau de la politique monétaire, une préparation soit faite.
De 3, « lorsque nous analysons les perspectives macroéconomiques dans notre pays, nous constatons que nous sommes à quelques semaines du dernier trimestre de l’année qui est un trimestre qui est généralement marqué par une augmentation de la liquidité dans l’économie en relation avec les festivités de fin d’année. Mais aussi, d’ici la fin de l’année, il y aura des activités liées aux élections qui, comme dans tous les pays du monde, se traduisent par des dépenses liées à ces activités, dit-elle.
Et d’ajouter qu’en relevant le taux directeur jusqu’à 25%, ça nous permet d’avoir le taux d’intérêt et le taux directeur lui-même dans une zone positive par rapport à l’inflation que nous projetons actuellement en glissement annuel. L’objectif visé, c’est de renforcer l’action de la Banque centrale dans la gestion de la liquidité excédentaire dans le but de contenir la pression sur le marché des changes qui à leur tour amènent des pressions au niveau des prix. « Si je dois résumer ça, c’est pour être efficace dans l’action de la Banque centrale pour la stabilité des prix », martèle-t-elle.
Qu’est-ce qui expliquent les fluctuations de l’inflation et du taux de change ?
Mme Malangu Kabedi Mbuyi souligne que les fluctuations de l’inflation et du taux de change à la base, on peut dire dans la mesure où et le taux de change et l’inflation sont des prix, à la base, c’est toujours la relation qu’il y a entre l’offre et la demande du Franc congolais ; l’offre et la demande de dollar, en ce qui concerne le taux des changes ; l’offre et la demande des biens et services en ce qui concerne l’inflation.
« Lorsqu’on est dans une situation où il y a une très forte augmentation de la demande des biens et services ou des dollars par rapport à une offre qui est restée la même, ou même lorsqu’il y a une forte augmentation de la demande, cela se traduit par une dépréciation plus ou moins importante et au niveau des biens et services par une accélération de l’inflation », explique-t-elle. En prenant le taux de change, et comme nous sommes dans une économie dollarisé, la demande de dollar est très élevée.
A l’en croire, les données disponibles au niveau de la BCC montrent que de manière structurelle, la demande des devises est beaucoup plus élevée que l’offre des devises. Donc, pendant des périodes où il y une forte augmentation de la demande, l’offre est restée la même. L’offre ne pouvant pas suivre, on arrive à une dépréciation du taux de change. C’est ici qu’elle a rappelé que la Rdc a un système de change flottant. Et lorsqu’on regarde l’évolution du taux de change du jour le jour, comme le fait la Banque centrale, on voit bien qu’il y a des moments où il y appréciation, après la première moitié du mois de juillet.
Mais aussi de manière générale, on observe qu’on peut avoir trois à quatre jours de suite où il y a une appréciation et lorsque nous faisons le suivi au niveau du marché parallèle, on nous dit que les Francs congolais sont rares ces jours-ci, on voit que le marché réagit, il y a une appréciation du Franc congolais. C’est vrai qu’en général on constate plutôt une dépréciation, c’est toujours par rapport à l’indisponibilité des Francs congolais et des dollars.
Lorsque nous regardons les situations au niveau de l’inflation, les analyses de la Banque centrale montrent que dans l’indice des prix à la consommation, c’est la composante produits alimentaires et boissons non alcoolisées comme catégorie des biens qui a le pourcentage le plus élevé dans ce panier. C’est lorsqu’il y a une augmentation des prix au niveau des produits alimentaires qu’on voit une accélération de l’inflation. Il faut aussi noter que nous importons beaucoup de ces produits alimentaires.
« Si je prends les chiffres de la balance des paiements en 2022, c’était les produits les plus importés en termes de valeur et les biens d’équipement. Lorsque nous sommes dans une période comme celle-ci où l’inflation est prévalence dans tous les pays qui sont nos partenaires commerciaux, ça veut dire, lorsque nos importations augmentent, nous importons aussi cette inflation. Et ce ne pas seulement au niveau des produits alimentaires, les produits pétroliers, les produits d’équipements, lorsqu’il y a une augmentation des investissements publics ou privés, le contenu en importation de telles dépenses est très élevé. Donc, c’est quelque chose qui amène à des fluctuations au niveau de l’inflation », note la Gouverneur de la Banque centrale du Congo.
Que fait la BCC dont la mission principale est la stabilité des prix ?
« C’est vrai que la mission principale de la BCC comme dans la majorité des banques centrales du monde, c’est la stabilité des prix et la BCC est toujours aux aguets par rapport à cet objectif. Depuis le début de l’année, il y a un certain nombre des mesures qui ont été prises pour la conduite de la politique monétaire de manière générale, mais aussi pour contenir les pressions lorsque la BCC a réalisé qu’il y avait ces pressions qui amenaient la dépréciation du taux des changes qui à son tour amenait beaucoup de pressions au niveau de l’inflation », souligne Mme Malangu Kabedi Mbuyi.
Parmi ces mesures, explique-t-elle, il y a d’abord l’augmentation du coefficient de la réserve obligatoire sur les dépôts à vie en monnaies nationales, qui est passé de 0 à 10% au mois de juin, qui est un élément très important du point de vue gestion de la liquidité excédentaire. Et ça c’est une mesure au niveau de la demande pour contenir la pression de la demande sur les marchés des changes et sur le marché des biens et services.
Une deuxième mesure qui est d’une utilisation permanente, c’est le Bon BCC. Mais l’élément qu’il faut souligner ici est qu’au niveau de l’évolution de la liquidité dans l’économie, la Banque centrale a progressivement augmenté les montants offerts aux banques comme une alternative à l’utilisation de la liquidité oisives. Plutôt que cette liquidité aille se porter sur l’achat des devises, la BCC offre la possibilité aux banques commerciales de venir acheter les Bons BCC. Et ces Bons, les banques les achètent pour leur propre compte et celui de leurs clients.
« Si je peux donner un exemple pour montrer l’importance de cet instrument du point de vue de la stérilisation de la liquidité excédentaire, en 2021, le volume des Bons BCC était inférieur à 10 milliards des Francs congolais. Mais si on prend une période plus récente, juin et juillet de cette année, nous sommes allés jusqu’au-delà de 300 milliards des Francs congolais. Ça veut dire que c’est autant qu’il est stérilisé par la Banque centrale pendant la durée de ces Bons, parce que nous avons les Bons à 7 jours, à 28 jours et 84 jours », pense-t-elle.
Et de préciser que pendant cette période-là, le volume qui est investi par les banques dans les Bons BCC, ne va pas se retrouver en tout ou en partie sur les marchés de change pour chercher une rémunération par rapport à cette liquidité excédentaire. C’est un instrument que la BCC utilise en permanence. Mais par rapport à l’évolution de la liquidité, la banque offre des volumes beaucoup plus élevés.
D’ailleurs, pour les banques, le volume élevé à un taux directeur élevé, c’est une rémunération intéressante qui est une bonne alternative par rapport à l’acquisition des dollars. C’est la deuxième mesure que la banque a utilisé du côté de la demande pour contenir les pressions de la demande sur le marché des changes et sur l’inflation.
La BCC est intervenue du côté de l’offre
De l’avis de la patronne de la Banque centrale du Congo, son institution a eu aussi à intervenir du côté de l’offre. Lorsqu’elle s’est rendue compte que l’offre était inférieure au niveau du marché de change, elle a vendu des devises. Depuis le début de l’année, le montant vendu s’est situé à 300 millions de dollars Us. Et ce montant est vendu pour ajouter à ce qui est disponible au niveau des banques, pour satisfaire à la demande de leurs clients qui en ont besoin pour leurs dépenses locales : payer les frais de scolarité, payer le loyer, … mais aussi pour ajouter les moyens des banques à financer les importations.
Elle a précisé que la Banque centrale est intervenue pour vendre la devise, pour ainsi éviter qu’il y ait des pressions que l’offre insuffisante par rapport à la demande ne se traduise par une dépréciation additionnelle du taux de change.
Et le dernier élément, c’est le taux directeur que la Banque centrale a utilisé pour renforcer ses autres actions du point de vue de la liquidité excédentaire. Pour l’Institut d’émission, il faudrait dire que toutes ces actions prises par la Banque centrale ont besoin d’être complétées, de façon que notre pays puisse s’engager pour longtemps dans une période où il y a stabilité des prix, stabilité du taux des changes, appréciation du taux de change, très important pour réduire le niveau de dollarisation de l’économie.
Il faut compléter avec des actions à court terme, à moyen et long terme. A court terme, c’est la mise en œuvre des actions prises récemment au niveau de la politique budgétaire et monétaire. Mais aussi le renforcement continue des actions au niveau de la politique monétaire et budgétaire. Ces mesures prises récemment, ajouté à cela les mesures prises par la Banque depuis le début, ont déjà produit des effets.
Et cette coordination, cette mise en œuvre continue permettra de pérenniser la stabilité que nous constatons depuis trois semaines au niveau du taux des changes, ou même d’aller vers la possibilité d’une appréciation.
« Aujourd’hui, je peux vous dire que le taux de change sur les grandes places, le marché parallèle est à 2430 à l’achat, 2460 à la vente et le marché interbancaire a commencé aujourd’hui avec 2472 Fc. Donc, les mesures prises ont eu de l’effet », constate-t-elle.
Pourquoi l’utilisation des taux élevés par certains opérateurs ?
Par rapport au taux très élevé que nous avons constaté au mois de juillet, c’est pour dire qu’aujourd’hui, il n’y a rien. Les données sur le marché ne peuvent pas permettre de comprendre que certains opérateurs économiques soient justifiés d’utiliser le taux le plus élevé au-dessus de 2500 ou encore moins à 2600.
Des actions qui sont prises au niveau de la Banque centrale, au niveau du Gouvernement, au niveau des finances publiques sont mises en œuvre de manière déterminée pour arriver à l’objectif de la stabilité des prix, et combattre l’inflation. Maintenant, lorsqu’on regarde au niveau de l’inflation, on a vu une certaine décélération. Au début du mois de juillet, l’inflation hebdomadaire était de 1,4% sur une semaine. Mais la dernière semaine, l’inflation, était à 0,15%. C’est-à-dire qu’on commence à voir l’effet au niveau de l’inflation aussi.
Il faut reconnaitre que de manière générale, les prix restent encore élevés. La décélération qu’on a vu, l’appréciation et la stabilisation du taux des changes, ne s’est pas encore traduite par une baisse de l’inflation. Ceci est dû au fait que la transmission de la dépréciation sur les prix se fait de manière asymétrique. Lorsqu’il y a une dépréciation, surtout lorsqu’elle est forte, les agents économiques s’attendent à ce qu’il y ait hausse des prix et ils augmentent les prix. Mais lorsqu’il y a appréciation, les agents économiques craignent de connaitre la perte au niveau de leur profit et ils ont une attitude d’attentisme avant de traduire l’appréciation du taux des changes au niveau de leurs prix.
Avec la poursuite des mesures qui sont en cours, indiqué Mme Malangu Kabedi Mbuyi, le marché va arriver à intégrer le fait que les politiques mises en œuvre en ce moment visent à réduire l’inflation. Et on devrait arriver à avoir des résultats. Selon elle, se sont des actions de court terme qui devaient compléter les mesures mises en œuvre au niveau de la politique monétaire. Il y a aussi les actions à moyen terme.
Mais la plus importante, c’est l’augmentation de l’offre des biens et services. Si on constate que il y a eu appréciation de la monnaie, mais l’inflation est restée élevée, c’est parce que la dépréciation est un élément important qui mène à la hausse des prix. Ce ne pas le seul. S’il y a une offre insuffisante, même s’il y a eu appréciation de la monnaie pendant longtemps, ça ne pourra pas régler le problème de l’inflation.
A moyen terme, martèle-t-elle, il faut qu’il y ait des actions mises en œuvre pour augmenter l’offre des services. Il y a enfin des actions à long terme, tout ce qui peut être fait au niveau des politiques sectorielles, des réformes structurelles, au niveau de la politique monétaire qui accompagne les actions au niveau de la politique budgétaire, de manière à ce qu’on puisse diversifier la base de production, qu’on puisse mettre en œuvre les mesures qui vont stimuler le développement du secteur privé, de manière à ce que notre économie dépende de moins en moins des importations, d’un seul secteur minier par rapport à sa croissance, qu’il développe aussi les exportations.
Mme Malangu kabedi Mbuyi pense que c’est avec tous ces éléments à court, moyen et long terme qui vont permettre d’amorcer et de rester dans une période longue d’appréciation du taux de change, d’une inflation faible. Soulignons que la BCC maintient l’objectif de l’inflation à 7% à moyen terme. Avec cet accompagnement, avec des actions à court, moyen et long terme, nous dévons construire une économie résilience, mais nous avons les moyens de faire face aux chocs pour une croissance diversifiée, gage de la réduction sensible de la dollarisation er de la pauvreté dans notre pays.
Propos recueillis et rendus par Jean-Marie Nkambua