Lors d’une mission à Kananga, chef-lieu de la province du Kasaï-Central en République démocratique du Congo (RDC), nous avons pu constater de près les conséquences dramatiques des effets croisés des conflits et des changements climatiques : grands ravins creusés par l’érosion, infrastructures routières endommagées, maisons et terres productives emportées par les eaux… Peuplée de plus d’un million d’habitants, Kananga sort d’un conflit violent et se trouve sous la menace de plus de 60 ravines, dont certaines atteignent 30 mètres de profondeur. Des milliers de personnes risquent de perdre leur maison — leur bien le plus précieux —, tandis que les infrastructures stratégiques de la ville, telles que la route nationale, le chemin de fer et l’aéroport, sont menacées et, dans certains endroits, déjà endommagées. Nous avons vu l’impact direct des dérèglements du climat lors des fortes pluies qui se sont abattues en 2021-2022 sur la ville, emportant des sols sablonneux fragilisés par les effets aggravants d’un étalement urbain anarchique. La situation à Kananga n’est pas un cas isolé ; les prévisions climatiques annoncent des épisodes de précipitations plus intenses, qui mettront la croissance urbaine en péril et des vies en danger.
Couvrant une superficie comparable à celle de l’Allemagne, la région du Kasaï a été le théâtre d’un conflit intense et violent entre milices, groupes armés et forces de sécurité, qui a fait des milliers de déplacés internes et entraîné l’enrôlement des enfants par des milices locales. La région est toujours en proie à des risques de violence récurrente et ses ressources rares sont l’enjeu de conflits qui mettent à plus rude épreuve encore une population déjà vulnérable, ce qui restreint les perspectives économiques et engendre des tensions sociales. Lors de nos réunions avec les autorités locales, les populations touchées et les partenaires de l’action humanitaire et du développement, l’inquiétude était palpable.
En 2022, la Banque mondiale a lancé le projet d’urgence pour la résilience urbaine à Kananga afin d’aider à atténuer les effets de l’érosion en consolidant les habitations et de renforcer les capacités de planification des autorités locales pour prévenir de tels évènements catastrophiques à l’avenir. En appuyant la remise en état et le développement d’infrastructures urbaines essentielles ainsi que la capacité à fournir des services de base, le projet s’attaque également à une source potentielle de conflit.
L’insécurité et les conflits demeurent des préoccupations majeures en RDC, en particulier dans les provinces situées à l’est du pays. Pour y remédier, les autorités congolaises ont déclaré l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri en avril 2021, en les faisant passer sous administration militaire. L’état de siège a été prorogé à plusieurs reprises et est toujours en vigueur. La fin de l’année 2021 a également été marquée par la réapparition sur le territoire congolais du groupe rebelle M23, qui a donné lieu à des affrontements de plus en plus violents avec l’armée congolaise et ses alliés. Les combats se sont encore intensifiés tout au long de 2022, laissant plus de 679 000 personnes dans le besoin d’une aide humanitaire. Les groupes armés locaux continuent de faire des ravages au sein de la population locale, en contribuant à exacerber la pauvreté, les déplacements et les violences sexuelles et sexistes, et à saper la présence de l’État et la fourniture des services. À moyen terme, les efforts visant à assurer un retour à la normale et, in fine, soutenir le développement dans l’est de la RDC seront essentiels.
C’est dans cette optique que le Conseil des administrateurs de la Banque mondiale a approuvé en décembre 2022 un financement de 250 millions de dollars pour les provinces de l’Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Le projet de stabilisation et de relèvement dans l’est de la RDC permettra d’accroître la résilience des personnes touchées par le conflit en améliorant leur accès aux infrastructures communautaires et en renforçant les capacités de l’administration dans les provinces ciblées. Ce soutien vient compléter non seulement le travail déjà en cours dans ces zones visant à aider les agriculteurs à augmenter leur production agricole et à accroître la sécurité alimentaire dans un pays où, selon les estimations, 27,3 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire, mais aussi les programmes visant à lutter contre les violences sexuelles et sexistes, dont l’incidence est malheureusement en hausse en raison du conflit. Ces domaines d’intervention illustrent parfaitement notre engagement à rester mobilisé dans les situations de fragilité et de conflit pour pouvoir venir en aide aux plus vulnérables lorsqu’ils en ont le plus besoin et être en mesure à terme de soutenir un développement durable où et quand cela est possible.
Dans les environnements instables, le suivi des projets est à la fois plus important et plus difficile. Heureusement, la technologie rend ce suivi possible dans des endroits difficiles d’accès. En RDC, l’outil GEMS a géoréférencé 18 projets de la Banque mondiale sur 24, nous permettant ainsi d’évaluer à distance les progrès réalisés sur 15 000 sites.
En élaborant en 2020 une stratégie pour les situations de fragilité, conflits et violence, le Groupe de la Banque mondiale s’est doté d’une approche systématique en la matière ; il s’emploie à présent à transformer ses méthodes de travail. La RDC en est la preuve. En effet, différents départements de la Banque (développement social, gouvernance, protection sociale et agriculture) ont travaillé de concert pour façonner une intervention qui œuvre au développement sans attendre pour cela que la crise s’apaise.
La RDC illustre les liens entre action humanitaire, aide au développement et consolidation de la paix : nous n’obtiendrons des résultats qu’en travaillant ensemble. Le Groupe de la Banque mondiale collabore notamment avec la mission de maintien de la paix des Nations unies en RDC (MONUSCO), les partenaires bilatéraux et régionaux, d’autres organismes multilatéraux, les acteurs de la société civile nationale et internationale, ainsi que les organisations confessionnelles, en veillant à garantir la complémentarité de nos actions respectives et tirer parti de nos avantages comparatifs.
Malgré des défis de taille, il y a des signaux d’espoir en RDC : un nouveau contrat social entre l’État et les citoyens semble prendre forme, à travers la généralisation de l’enseignement primaire gratuit, une plus grande transparence et des réformes du secteur public, et l’importance accordée à la prévention des conflits et à la stabilisation dans l’est du pays.
Lutter contre l’accumulation des risques en RDC
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