Mgr Joseph KalambaMutanga : La bataille de l’auto-financement durable pour les Eglises locales du Congo-Kinshasa

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Propos et propositions, Vol.1 Problèmes, Editions Universitaires de Kamutanga, Collection « notre beau pays », Kinshasa, 2021, 299 p

Depuis des années, l’Eglise en Afrique est confrontée au problème d’insuffisance des ressources matérielles et financières à même de soutenir l’œuvre d’évangélisation et de prendre en charge d’autres besoins connexes à cette ouvre par ailleurs complexe. D’emblée, ce problème se pose dans le contexte d’une Eglise dont le mal séculaire est de vivre de la dépendance et de la « perpétuelle main tendue » sans oublier la part terriblement maigre du terroir local.

Dans cet ouvrage que nous souhaitons devenir un document de référence pour des Eglises locales du Congo Kinshasa à la recherche de la maturité par l’autosuffisance oul’auto-prise en charge, l’A., Mgr Joseph Kalamba, l’homme aux multiples casquettes, théologien, ecclésiologue, chercheur, connaisseur de l’Eglise du Kasayi, paysan, aborde ce problème de façon approfondie à travers 5 chapitres étalés sur 299 pages. Ces chapitres sont autant de foyers de réflexion cueillis dans les méandres d’une retraite-session aux clergés de l’archidiocèse de Kananga et du diocèse de Mbujimayi, deux Eglises particulières dont les accointances historiques sont inéluctables.

Au nom de ces accointances, ce qui se dit et se vit à Kananga, se dit et se vit mutatis mutandis à Mbujimayi. D’où cette question de fond, le noyau même de cet ouvrage, en deux volumes (vol.1, objet de ce compte rendu , et vol. 2 dont le compte rendu suivra) : « comment nous devons assurer de plus en plus notre autofinancement local en paroisse, dans les congrégations et dans le diocèse en dépit de tant de problèmes matériels qui se posent aujourd’hui dans notre société et dans notre Eglise au Kasayi et au Congo ? ». Mais en quoi ce vol.1 se distingue du vol. 2, tous deux répondant à ce problème fondamental et commun relatif à la question matérielle et financière de nos Eglises ? Le vol. 1, plus théorique donne les éléments essentiels du problème en 5 chapitres. Mais que retenir de ces chapitres un par un ?

Le premier chapitre détermine le cadre des propos et des propositions du sujet. Ce cadre, c’est, en effet, une retraite-session, un cadre suigeneris, où aux flots de la spiritualité se mêlent ceux relatifs à la question de fond ou encore mieux, le problème, celui de comment assurer l’autofinancement dans nos Eglises locales comme miroir idéal de leur avenir économique. Au fond, étudier ce problème en profondeur a exigé un regard croisé par lequel le spirituel, le matériel et le financier s’entrecoupent à travers l’éclairage biblique et historique de l’évangélisation de notre terre du kasayi, de la « période missionnaire » à la période « post-missionnaire ». Dès le départ, l’A. reconnait que les ressources matérielles et financières étant par ailleurs un des aspects de la maturité de l’Eglise ne suffisent pas à prendre en charge tous les besoins pastoraux dans nos Eglises locales. Cette insuffisance est aggravée par l’ignorance des mécanismes de gestion rigoureuse, le détournement des ressources matérielles de l’Eglise à des fins individuelles ainsi que par l’absence de la culture d’organisation managériale et de rentabilité commerciale et financière (p.p.15-17.).

L’impasse que crée une telle insuffisance urge une réforme tous azimuts :

Briser le mythe « d’Eglise-enfant » selon le mot cher à Mgr Charles Vandame, Eglise qui n’entreprend rien pour marcher sur ses propres pieds ou avec ses propres béquilles (p.19.) ;

Briser le mythe selon lequel parler de l’argent est un péché (p.19.) ;

Déboulonner le goulot d’étranglement mental qui paralyse tant d’énergies disposées à s’engager dans la voie de l’autofinancement (p.20.) ;

Maitriser et comprendre le circuit de la dépendance matérielle et financière envers l’Occident (p.p. 20-21.).

Il y a, à travers cette réforme que l’A. appelle de tous ses vœux la prise de conscience de certaines épines, c’est-à-dire les obstacles qui obstruent le chemin de l’innovation. De ces épines, on peut retenir :

L’extraversion des économies diocésaines par les organismes tant ecclésiastiques qu’étatiques étrangers situés en Occident (p.22.) ;

La dépendance financière envers les responsables politiques et des opérateurs économiques comme bienfaiteurs occasionnels du diocèse (p.22.) ;

La générosité à l’occasion de certains évènements (funérailles, ordinations, jubilé du diocèse ou de la congrégation) (p.23.) ;

La générosité de la diaspora locale (p.24). ;

La générosité des communautés chrétiennes locales situées à l’intérieur du diocèse (p.25.).

Tout en reconnaissant les avantages précieux de toutes ces aides dans leurs différents aspects, l’A. attire l’attention sur leurs limites (p.p.22-29.). L’on peut, en concluant, avec l’A., ce premier chapitre, dire qu’un thème si riche a fait irruption dans son cheminement théologique et pastoral à travers un processus riche en rebondissements. D’abord, en famille où il a été éduqué à l’agro-paysannat ; ensuite au séminaire,où, par la formation et les lectures, il a été éveillé à la problématique ; enfin au début du ministère sacerdotal, pendant la formation en Suisse et le séjour au Congo, où le thème avait mûri par les différentes expériences de terrain. Il y a,à travers ce cheminement, une lueur qui aide à comprendre en quoi les Eglises de Mbujimayi et de Kananga sont « des Eglises locales géantes du Kasayi, mais au talon d’Achille dans leur maturité financière ». C’estl’objet du deuxième chapitre (p.p.47-145.).

Qui veut aller loin ménage sa monture, dit un proverbe. C’est dire que pour réussir la bataille de « l’autofinancement durable » dans nos diocèses, il faut garder des forces ou des réserves si on veut atteindre des objectifs élevés ou lointains. Pour l’A., ces forces sont représentées par tous les atouts pour un autofinancement réussi.Dans une Eglise qui se veut mûre, qu’elle soit à Kananga ou à Mbujimayi, sur les plans pastoral, spirituel, liturgique ou financier, l’incontestable atout majeur est celui des ressources humaines, des ressources soudées par la confiance mutuelle, l’unité et l’amour véritable du diocèse (p.59.). A travers une approche holistique où tout se tient, l’A., s’appuyant sur les acquis del’ecclésiologie conciliaire, présente les ressources humaines comme le socle de la vitalité d’une Eglise. « Il n’y a de richesse que d’hommes, dit le prix Nobel américain Théodore Schutz (p.59.). Sans hommes, rien ne peut réussir. Voilà pourquoi de longues pages sont consacrées au plaidoyer pour l’unité et la coresponsabilité dans la gestion du diocèse. N’est-ce pas que cette cohésion au sein du personnel peut aider à éviter toutes sortes de dérapages qui ont fait écrouler Kananga comme « grande forteresse flamande » et Mbujimayi comme Eglise à « itinéraire atypique » à partir de ses propres efforts d’autofinancement ? (p.p.60-72.).

Soyons précis. Kananga doit presque tout aux pères de Scheut. Non préparé à se prendre en charge sur le plan économico-financier, sa descente aux enfers s’est effectuéeentre 1980 et 1990 avec les deux vagues successives de pillage systématique de la Procure Saint Clément vers les années 1992 et 1993 qui enfoncèrent la débâcle économique de l’archidiocèse. (p.75.). Mbujimayi a été atypique. Malgré l’appui matériel, financier et logistique précieux de la Miba (p.80.), il est une Eglise née de grands évènements historiques douloureux, une Eglise de déportés et de refoulés revenus au bercail et appelés par le concours des circonstances à africaniser l’Eglise locale dans beaucoup de rouages clés de la vie pastorale (p.81-82.). Dans cette mouvance, par son pragmatisme du terrain et son réalisme pastoral, Mbujimayi a réussi des avancées sur le plan économico-financier appuyant tout le reste (théologie, pastorale, liturgie, etc.), mais qui se sont effondrées tel un château des cartes à cause de l’amateurisme (p.p.90-129.).

C’est cet amateurisme à Mbujimayi et la débâcle économico-financière à Kananga accompagnés de nouveaux défis sociétaux (p.p. 130-131.) qui ont facilité un effort de réflexion théologique musclée fondée sur la culture et les langues, reconnaissant les ressources financières locales comme autre atout majeur. Un atout qui reconnait à sa juste valeur tout ce qui a été entrepris avec succès par le passé et surtout aujourd’hui sur le plan d’autofinancement. Au regard de cet atout, deux défis méritent d’être relevés :

L’insuffisance des ressources financières locales ;

La mégestion et la non fructification de ces ressources par nous-mêmes.

C’est après une longue discussion sur ces défis (p.p. 141-146.) que l’A.en arrive à une réflexion pointue sur le lien inextricable entre le prêtre et l’argent ou les biens de la terre, objet du troisième chapitre (p.p. 147-210.).Ce chapitre est révolutionnaire, car il parle de l’argent comme pierre philosophale de l’existence dans nos diocèses, chose impossible à trouver, un mystère. Et pourtant l’A. stigmatise toute théologie qui fait de l’argent un tabou (p.p.148-155.). Il dit non à une telle vision lorsqu’il affirme : « … chercher à nier au nom d’un «  christianisme spirituel » utopique ou d’un  spiritualisme désincarné, la place et l’importance des ressources matérielles et financières même minimales dans la vie de la congrégation ou du diocèse aujourd’hui dans notre province et notre pays, c’est continuer une politique d’autruche qui nous conduit tous comme clergés tôt ou tard dans un trou » (p.159.).

Tout le problème est d’aborder cette question dont dépend tout le travail pastoral en hommes d’Eglise adultes et responsables, qui, à travers les échanges créent et encouragent « un cadre officiel effectif et efficace de discussions avec débat d’idées indispensable sur la vie matérielle et financière de la paroisse, de la congrégation et du diocèse ». (p.161.). L’on comprend que pareillefaçon de voir est appuyée par la Bible qui ne voit aucune contradiction entre les biens matériels et le diocèse (p.p. 162-168.). D’où rejet par l’A. de la « théologie de la pauvreté » matérielle (p.p.168-171.) et de la « théologie de la prospérité » terrestre (p.p.171-173.) au profit d’une « théologie du salut intégral »de l’hommecorps et âme.

L’enjeu de cette dernière est que rechercher l’autofinancement ecclésial au Kasayi et au Congo ne nous conduise pas à oublier de chercher aussi l’épanouissement et le bien-être matériel de notre peuple appelé à y trouver aussi son compte. A vrai dire, au lieu de diaboliser la possession de l’argent et des biens matériels comme un mal en soi,il faut, au nom de l’Evangile, « condamner la misère matérielle abjecte comme ennemie de l’Evangile et de notre population vivotant dans son sous-développement presque infrahumain »(p.p.173-174.).

Le juste milieu consiste dans ces conditionsà mettre la conjonction entre le matériel et le spirituel, et aussi à mettre la primauté du spirituel sur le matériel, du céleste sur le terrestre. Ce juste milieu permet, à coup sûr, une juste utilisation des biens de la terre pour le minimum nécessaire à l’apostolat, dans la conviction que ces derniers sont subordonnés face à la primauté des « biens du ciel »(p.180.). Ainsi, l’Eglise, dans la réalisation de sa mission évangélique, avec l’appui du support matériel représenté par les biens de la terre doit éviter non seulement les trois tentations corruptrices de l’argent, mais aussi les trois dangers particuliers dans la vie du clergé diocésain en quête de l’autofinancement ecclésial. La première tentation est l’attachement excessif aux biens de la terre fermant l’horizon vers les « les choses d’en haut » (Col. 3,2) ; la deuxième est l’idolâtrie de soi-même qu’entraîne cet attachement excessif ; la troisième tentation est la perte morale et spirituelle de notre propre âme (p.p.180-187.). S’ajoutent à ces trois tentations, les trois dangers à travers la quête de l’autofinancement, à savoir l’autofinancement devenu un but primordial au lieu d’un moyen au service de l’évangélisation ; l’ego narcissique au cœur des réalisations matérielles dans l’Eglise et la société et la prééminence de la pastorale de l’argent au détriment de la pastorale des sacrements (p.p.187-206.).

Mais il faut dire que ces tentations et ces dangers ne sont pas tout ce qu’il y a à craindre dans l’apostolat au sein de l’Eglise. Autrement dit, ce n’est pas en les évinçant qu’on est tranquille. Il faut en plus une attitude à cultiver pour ne point déraper dans notre quête de l’autofinancement ecclésial. Cette attitude, c’est prendre conscience que « Dieu ne donne ni pauvreté ni richesse » (Pr.30,7), mais le minimum nécessaire à la vie et à l’apostolat (p.206.). Propriétaire universel et dispensateur de tous les biens matériels et financiers, Dieu est aussi celui qui nous donne le don financier qui ôte sur nous le pouvoir corrupteur de l’argent (p.207.) et nous fait prendre conscience que les « richesses d’en haut » sont plus belles et durables que les « richesses de la terre » (p.208.).

C’est l’ancrage en ce Dieu qui est le secret de l’épanouissement d’une vie chrétienne, sacerdotale et épiscopale bien équilibrée entre l’apostolat dans un milieu matériellement pauvre et la bataille quotidienne de l’autofinancement ecclésial local, qui donne sens à toute cette bataille. Une bataille que laisse comprendre logiquement le calvaire financier de nos paroisses, congrégations surtout diocésaines et de nos Eglises locales du Kasayi. Comprendre cette bataille à partir de la complexité de l’évolution socio-historique et économique de la maturité matérielle des Eglises locales de Kananga et de Mbujimayi, fait l’objet du quatrième chapitre (p.p.211-269.).

Ce chapitre me semble le cœur même de l’ouvrage, son maillon privilégié, car y mettre au bénéfice la méthode spécifique d’Edgar Moran qui recommande de « regarder le tout dans les parties et en même temps les parties avec le tout », de « distinguer sans dissocier et d’unir sans dissocier » (p.211.), c’est rattacher la complexité du problème de l’autofinancement à l’évolution de la maturité matérielle de nos Eglises locales de la « période missionnaire » à la « période post missionnaire ». Sur ces entrefaites, il est évident que nos Eglises ont connu du point de vue financier et matériel le temps des vaches grasses à la « période missionnaire ». Que de miel à cette époque ! Mais comme on ditque « près du Capitole se trouve la roche Tarpéienne », pour signifier que les honneurs et la célébrité n’empêchent pas la déchéance, la prospérité céda la place à la descente aux enfers de l’économie diocésaine à la «  période post-missionnaire » des héritiers (p.p.229-232.).

C’est alors que s’effilochèrent les mythes ecclésiaux financiers du père scheutiste, du prêtre indigène et de l’évêque nantis (p.p.232-237.). Cette descente aux enfers fut aussi compliquée par l’augmentation des ressources humaines locales exigeant plus en ressources financières au diocèse (p.p.237-241.). Que dire du trou créé dans les finances diocésaines par la diminution drastique de la manne de l’Occident  (p.p.242-246.), de la mégestion criante des ressources matérielles en paroisse et au diocèse (p.p.246-247.), de la difficulté de la rentabilisation financière maximale de certaines sources économiques ? Désolation que vinrent aggraver l’érosion du sens communautaire des biens du diocèse dans le style de vie du clergé séculier et la porosité dans la démarcation juridique des biens matériels et financiers des Eglises locales (p.p.259-269.).

Un ecclésiologue qui se respecte fait aussi œuvre de sociologue, d’observateur et de témoin privilégié de la situation de son milieu de vie pour en scruter le climat socio-économique. C’est ce que l’A.fait au cinquième chapitre (p.p.271-294.). Il constate que les économies de nos Eglises locales sont le reflet de l’économie nationale de la RDC. Economie précaire (p.p.272-273), à l’allure d’un bébé né handicapé (p.p.278-280.), économie gangrénée par la volatilité du cadre macro-politique du pays (p.p.280-285.), bref économie moribonde et incapable de résister à la gabegie devenue le mode de gestion au pays (p.p.286-294.).

Il est temps de conclure. Avec une touche d’érudit et un regard pluridisciplinaire, Mgr Joseph Kalamba fait une réflexion fouillée sur la question combien pertinente de l’autofinancement de nos diocèses au Kasayi et en RDC. En vrai ecclésiologue, il nous convie, du point de vue économico-financier, à devenir les créateurs de nos propres richesses en appui à l’œuvre de l’évangélisation. A la « période post-missionnaire », cet ouvrage doit devenir un document de référence pour les Eglises locales en quête de la maturité financière.

Ernest Bula Kalekangudu (RDC)

Philosophe

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