Le dossier des poursuites contre le Cardinal est le plus médiatisé de ce moment, soulevant des vagues de passions diverses.
Tout en pensant que la justice a la possibilité de creuser la voie de l’inopportunité des poursuites, il y a de nombreuses critiques qu’on peut formuler contre les positions du Cardinal et des pourfendeurs du Procureur Général près la Cour de Cassation. Que gagne ou perd la République en le poursuivant ? S’en abstenir affecte l’ordre public à quel degré de nuisance ? Des questions que les pouvoirs publics auront intérêt à se poser dans le souci du bien commun.
Toutefois, pour ma part, en considérant le contexte particulier dans lequel se trouve le pays avec la guerre, la pauvreté du peuple et le règne des antivaleurs, je relève ce qui suit :
1. Le Cardinal Ambongo est un citoyen libre. Il vote aux élections organisées pour le choix des dirigeants politiques et possède une opinion personnelle sur la gestion du pays. Son poids sociologique, assez considérable, donne à ses déclarations publiques, par ailleurs en monologue, une influence de nature, selon les cibles, par exemples, à inquiéter les médiocres gouvernants, à créer l’espoir chez certains, à inciter d’autres à la rébellion, à décourager les efforts fournis pour la paix ou à encourager les agresseurs du pays et leurs complices.
2. Le Cardinal, citoyen libre et électeur ayant des choix politiques propres, n’est pas infaillible au point de penser que ses opinions ont valeur absolue de parole d’Evangile et jouissent d’une immunité judiciaire. En ne relativisant pas ses propos, pour ne pas les soumettre à la contradiction, y compris de l’opinion publique et de la justice, on le confond avec la Vérité, une position inconfortable pour lui dans l’ordre d’un Etat laïc et d’une société de liberté de conscience.
3. Le fait d’énoncer en public un fait précis faisant de la RDC pourvoyeuse des FDLR et des wazalendo en armes, de justifier l’adhésion des traîtres à un mouvement terroristes qui tunte et créent la désolation dans la population, n’a rien à voir avec la mission prophétique de l’Evêque. La vie publique a ses règles, l’une d’elle étant le devoir de prouver ses allégations pour ne pas les faire tomber dans le panier du faux bruit, de la calomnie, de la médisance ou d’une atteinte gratuite à la dignité d’autrui. Le devoir de s’abstenir, celui de dominer sa soif de foncer et démolir, fait la grandeur de celui qui mesure la plus grande nocivité de ce qu’il pense dire au public ou qu’il ne peut prouver.
4. En prenant des positions dans les domaines de la politique et de la sécurité nationale, le Cardinal n’associe pas généralement les fidèles catholiques ou même la CENCO pour connaître leurs avis sur ses déclarations et sorties médiatiques, avant ou après. Ce qui serait difficile à réaliser dans la mesure où l’Eglise catholique n’est pas engagée dans ses prises de positions de citoyen libre, qui a ses penchants et convictions personnelles.
5. La loi pénale est si impersonnelle qu’un évêque, qui se trouve, par ailleurs, à la tête d’une institution privée, régie par la loi sur les Asbl, ne peut s’en soustraire par sa seule qualité de religieux ou de chef spirituel. Ne pas respecter la loi et les autorités judiciaires est loin d’être une qualité pour un chef spirituel qui tendrait à montrer par ça son courage de braver un régime politique et de dominer la peur.
6. Les fidèles de l’Eglise catholique sont dans tous les partis politiques, y compris ceux du pouvoir, pour penser les mobiliser derrière les opinions personnelles du citoyen libre, même s’il s’agit du Cardinal, contre leurs convictions politiques. Contre le régime Mobutu et AFDL des Kabila, l’Eglise catholique a été avec la majorité de la population dans l’unité du combat. La majorité de la population était avec l’opposition pour abattre la dictature et libérer le pays des mains des étrangers. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
7. Même lorsque le Cardinal, d’abord Archevêque de l’Archidiocèse de Kinshasa, obtiendrait l’adhésion de certains fidèles de Kinshasa, sans doute dans le camp de la maigre opposition au régime en place, il n’est pas certain d’en avoir plus dans les autres Provinces. Pour avoir ouvert, lui-même, la brèche du discours sur le tribalisme en attaquant le régime Félix-Tshisekedi sur ce terrain, le virus de la division fera son travail au milieu du peuple de Dieu. Celui qui traite l’autre de tribaliste peut l’être à un niveau plus élevé au regard d’une critique subjective soutenue par un jugement de valeur.
8. L’Eglise catholique est si mal gérée, ne se développant pas, ayant considérablement régressé sur le plan du développement matériel et de sa gestion patrimoniale, connaissant une forte propension au tribalisme et autres maux sociaux, que les critiques du Cardinal manquent la force morale transcendantale, envisageable pour un prince de la puissante Eglise catholique. La preuve est l’absence d’écho, de récupération et d’exploitation de ses propos médiatiques par le laïcat catholique et une masse critique de la population afin de leur donner les effets qu’il peut en attendre.
9. Le Cardinal, par un activisme débordant contre le pouvoir politique, donne l’impression de vouloir masquer le mal profond qui ronge l’église catholique. Toutes les critiques portées contre le régime Félix Tshisekedi sont curieusement celles que l’on peut formuler sur la gouvernance de cette église. On y entend parler de plus en plus du népotisme, du clientélisme, du tribalisme, de l’empoisonnement, du détournement des fonds, des préoccupations mercantilistes exagérées…
10. Dans la mesure où la mission prophétique du Cardinal est quasi-absente sur la question de l’agression rwandaise contre la RDC et sur la dictature du régime politique rwandais et ses effets pervers au Rwanda et dans la sous-région, ses critiques contre le régime de Kinshasa n’ont plus de logique dans l’ordre de sa mission prophétique de dénoncer le mal partout et de ne pas l’encenser d’un côté, par exemple en vantant ce qui se fait au Rwanda, un pays agresseur au sien. Ce qui enlève la crédibilité à la critique du Cardinal, faisant croire à un problème personnel avec le Président de la République. Ce qui, d’ailleurs, ne donne pas de crédit à la version de l’exercice de la mission prophétique.
11. Le devoir de moralisation de la vie publique congolaise, dominée par les antivaleurs, dont la calomnie, l’injure, le mépris de l’autre, la médisance, la trahison, le mensonge et la violence sous toutes ces formes, devra concerner un exercice de mission prophétique qui trouble l’ordre public en se retrouvant dans le champ des infractions prévues et punies par la loi. On peut s’attendre des chefs spirituels un discours prudent et réservé sur des faits dont ils n’ont pas de preuve, qui ne les confond pas avec nos troubadours des médias. On ne peut pas s’imaginer les voir se donner les limites dans la recherche de la vérité sur les faits sociaux en se contentant de celle des réseaux sociaux.
12. En ne faisant pas preuve d’assez d’humilité et de respect de l’autorité publique, que la hiérarchie de l’église catholique tend à défier par certains de ses membres, il faut s’attendre à un bras de fer qui va diviser l’Eglise catholique, affaiblir son aura, dans la mesure où les propos du Cardinal ne rencontrent pas un succès indubitable au sein du laïcat de Kinshasa, qu’il aura peine à mobiliser pour une cause contre les pouvoirs publics.
13. Le dialogue entre la hiérarchie ecclésiastique et ses fidèles, ainsi que l’harmonisation de la vie interne pour faire de l’Eglise toute entière, en ce compris les laïcs, sel et lumière de la terre, permettront de mener un combat noble et digne contre la médiocrité dans la gouvernance du pays et pour une participation appréciable à la réalisation du bien commun. L’église pyramidale est morte pour que les laïcs sachent exercer ensemble avec le clergé leurs missions baptismales de sanctification, de royauté, de prophétie et de gouvernance. C’est en cela que la hiérarchie ecclésiastique trouvera sa force, étant unis avec les fidèles à Jésus Christ pour suivre dans l’unité, chacun dans son rôle, le chemin du Seigneur.
14. L’Eglise a besoin d’être d’abord sauvée de plusieurs pesanteurs qui lui enlèvent l’éclat de sa lumière, devenue trop terne. L’illustration est dans l’état calamiteux du pays et de sa gouvernance par 85% des chrétiens, avec une majorité de cadres formés dans les écoles et universités catholiques. L’Eglise a envoyé des laïcs en mission pour être, par leur foi, des modèles dans l’exercice de leurs devoirs professionnels, la vie familiale et la gestion du pays. Tout le contraire : les familles produisent des kulunas et une jeunesse désorientée et l’Etat est la proie des politiciens prédateurs. Le clergé devra manifester plus de souci pour cet échec des laïcs missionnaires. Même lorsque les pasteurs se plongent dans la danse de la gestion publique, ils ne font pas mieux.
Pour conclure, j’interpelle l’Eglise à sortir de sa torpeur. Arrêtons-nous. Une remise en question s’avère nécessaire pour un nettoyage de soi et autour de soi. Le Congo devra compter sur l’Eglise, dont le rôle de guide spirituel est fondamental, pour engager les congolais sur la voie de la révolution de la conscience individuelle et collective, sans laquelle nous allons demeurer pour très longtemps encore esclaves et marchepieds des autres. Un autre Congo est possible pour une autre Afrique, un peuple congolais libre aussi.
Notre libération dépend de notre révolution spirituelle et mentale, dans laquelle le clergé catholique a le choix entre trahir son Seigneur en recherchant les honneurs, privilèges et richesses de ce monde ou user de son pouvoir pour conditionner les esprits à œuvrer pour la construction, sur la terre déjà, du Royaume de justice, de paix, d’amour et de fraternité.
Le prolongement de soi est nécessaire pour aborder les questions majeures et existentielles de notre société avec amour et respect mutuel. La bouillabaisse offerte par les médias congolais devra cesser avec des personnes phares qui présentent le contre-exemple et imposent un autre modèle de leadership moral.
Notre unité sur fond des diversités culturelles, politiques et sociales devra faire vibrer sa force dans le combat pour la fin de la guerre en RDC, pour le développement intégral et pour la sauvegarde de l’intégrité territoriale de l’Etat congolais dans ses 2.345. 410 Km2. Ce qui appelle un leadership ecclésiastique capable de se mettre à l’écoute des fidèles, attentif au rôle particulier exercé par ces derniers dans le monde, soucieux de rechercher la force dans l’unité des membres de l’église.
Notre lutte d’un État nettoyée de ses agrégats négatifs et destructeurs et bien gouverné nous mène tout droit vers la renaissance de la République Démocratique du Congo comme État et comme nation ; ce qui devra être le souci de tout chrétien authentique, particulièrement de l’Église institutionnelle.
La renaissance du citoyen congolais, par le renouvellement de son intelligence, devra nous conduire à un patriotisme de qualité, qui favorise la réalisation du bien-être collectif.
La Kombolisation est en marche.
Bamuangayi Kalukuimbi Ghislain