Suspension de TikTok en RDC : un snobisme politique qui ignore la voix des jeunes Congolais

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La décision annoncée des autorités de la République Démocratique du Congo, en l’occurrence le Conseil supérieur de laudiovisuel et de la communication (CSAC) de suspendre TikTok semble s’inscrire dans une tendance globale, où des pays comme les États-Unis et l’Inde ont choisi de bannir cette application. Toutefois, il est impérieux de souligner que les raisons qui motivent ces interdictions dans des contextes aussi divers ne s’appliquent pas nécessairement à la RDC, et cette imitation pourrait s’avérer être une forme de snobisme politique qui ne tient pas compte des réalités locales.

 

*Les enjeux de la sécurité des données*

 

Tout d’abord, les préoccupations concernant la sécurité des données, qui ont justifié l’interdiction de TikTok dans des pays occidentaux et en Inde, ne s’appliquent pas de la même manière en RDC. Les États-Unis et l’Inde craignent que les données personnelles de leurs citoyens soient partagées avec le gouvernement chinois, ce qui pose des enjeux de sécurité nationale. Cependant, dans le contexte congolais, la question de la protection des données personnelles est déjà un défi en soi. Les mécanismes de régulation sont souvent absents ou inefficaces, et les problèmes de sécurité informatique demeurent largement sous-estimés. Il est donc paradoxal de se réclamer de normes de sécurité qui ne sont pas mises en œuvre localement, alors même que d’autres formes de surveillance et de contrôle de l’information persistent dans le pays.

 

*TikTok : un outil d’expression pour la jeunesse*

 

De plus, le CSAC semble ignorer le fait que TikTok, au-delà de ses défauts, est devenu un véritable outil d’expression et de créativité pour de nombreux jeunes Congolais. Cette plateforme permet à la jeunesse de s’exprimer, de partager des histoires et de mettre en avant leur culture dans un monde de plus en plus digitalisé. Les jeunes artistes, musiciens et créateurs de contenu utilisent TikTok pour faire connaître leur travail, susciter des débats sur des sujets sociaux et politiques, et se connecter avec des publics au-delà des frontières. Interdire TikTok, c’est priver cette génération de voix précieuses et de moyens d’expression, tout en ressemblant à un geste de censure qui rappelle des pratiques autoritaires. En fait, cette décision pourrait avoir des répercussions durables sur la créativité et l’innovation au sein de la jeunesse congolaise.

 

*La question de la dépravation des mœurs*

 

Le CSAC annonce également la crainte que TikTok favorise la dépravation des mœurs. Cependant, il semble oublier que d’autres réseaux sociaux, tels que Facebook ou Twitter actuellement X, sont également le théâtre de contenus inappropriés. La dépravation n’est pas inhérente à une plateforme, mais dépend de l’usage que l’on en fait. Comme le dit l’adage : *”On ne peut pas en vouloir au couteau parce qu’il a été utilisé pour blesser ; la faute est à celui qui a utilisé le couteau, et non au couteau.”* Ce principe souligne l’importance de l’éducation et de la responsabilité individuelle dans l’utilisation des réseaux sociaux. Plutôt que de blâmer la plateforme elle-même, il serait plus constructif d’investir dans des programmes éducatifs qui enseignent aux jeunes comment naviguer de manière responsable sur les réseaux sociaux et comment se protéger des contenus nuisibles.

 

*Une décision motivée par des considérations politiques*

 

Il est également important de noter que la décision de suspendre TikTok semble plus politique que véritablement fondée sur des préoccupations concrètes. Les pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Inde, qui ont pris des mesures contre TikTok, entretiennent des tensions économiques avec la Chine. Le succès fulgurant de TikTok aux États-Unis, par exemple, a non seulement mis en lumière une application qui rivalise avec d’autres réseaux sociaux comme Facebook et l’ex Twitter, mais il soulève aussi des questions de protectionnisme. À une époque où des figures comme Donald Trump ont pu influencer une majorité au Congrès, il est plausible que l’interdiction de TikTok soit également motivée par des intérêts économiques pour protéger des entreprises américaines en difficulté face à la montée d’un concurrent chinois. En ce sens, la décision de la RDC pourrait être perçue comme une simple imitation de ces dynamiques internationales, sans réelle réflexion sur ses propres intérêts et spécificités.

 

*Une approche inadaptée aux réalités locales*

 

En copiant des décisions américaines ou indiennes, les responsables du CSAC risquent de perdre de vue les besoins et les réalités de la population congolaise. Au lieu de s’inspirer de modèles étrangers, il serait plus judicieux d’initier un dialogue autour de la régulation des réseaux sociaux et de la protection des données, adapté au contexte local. Cela pourrait impliquer la création de lois et de politiques qui visent à encadrer l’utilisation des réseaux sociaux, tout en préservant la liberté d’expression. La RDC a besoin d’une approche qui soit à la fois proactive et inclusive, prenant en compte les voix des jeunes et des créateurs de contenu qui font vivre la culture congolaise.

 

 

En conclusion, l’interdiction de TikTok en RDC apparaît comme une démarche empreinte de snobisme, qui ne tient pas compte des spécificités et des enjeux locaux. Au lieu de suivre aveuglément les choix d’autres nations, les autorités congolaises devraient prendre le temps de réfléchir à une approche qui favorise la liberté d’expression tout en garantissant la sécurité des utilisateurs, en plaçant l’intérêt des Congolais au cœur de leurs préoccupations. Il est essentiel de reconnaître que les réseaux sociaux, s’ils sont utilisés de manière responsable, peuvent être des instruments puissants pour l’engagement, l’éducation et l’expression culturelle. La RDC mérite une stratégie numérique qui célèbre et protège ces valeurs, plutôt qu’une approche répressive qui pourrait étouffer la créativité et la voix de sa jeunesse.

 

*Pat-Gabriel Matondo Kwa Nzambi*, libre penseur

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