Trop de gesticulations autour de l’implication de l’Ouganda dans la crise sécuritaire à l’Est

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Le Congo ressemble au mauvais serviteur cité dans la Parabole des Talents…

Actuellement en séjour en Europe, Patrick Muyaya fait le tour des médias occidentaux pour communiquer sur la crise sécuritaire en RDC. Sur RFI et TV5 les lundi 15 et mardi 16 juillet 2024, il semble toujours ménager Kampala, exactement comme l’a fait Washington dans le communiqué du Département d’Etat du 11 juillet dernier. En effet, sur TV5, il a admis que _«Nos services nous ont donné des éléments qui ont été corroborés par le Rapport d’experts des Nations Unies. Il faut regarder la situation en Ouganda avec la question interne. Nous avons posé des questions que ce soit sur le plan diplomatique. Ma collègue des Affaires Etrangères s’en est, du reste, assurée. Au plan militaire, le chef d’Etat-major général de nos Forces armées a rencontré son homologue ougandais… Nous attendons d’eux de la clarification. Vous ne pouvez pas comprendre que nous avons des militaires ougandais qui décèdent aux côtés des militaires congolais dans le Grand Nord en train de combattre des ADF qui sont leurs propres frères ougandais_ »…

Position officielle du Gouvernement

Au fait, Patrick Muyaya a abondé dans le sens que la ministre d’État en charge des Affaires étrangères Thérèse Kayikwamba Wagner avec qui il venait d’animer le 8 juillet dernier son briefing traditionnel.

« …nous sommes aussi préoccupés par des sources de nos propres services qui indiquent des tendances similaires. Je pense que dans le cadre de nos liens bilatéraux assez solides que nous avons, nous allons soulever la question à travers le canal diplomatique qui est le mien, mais aussi à travers d’autres canaux comme celui de la défense. Avec l’opération Shujaa, nous avons des interactions et des échanges assez fréquents entre les FARDC et les UPDF. Cette question ne nous échappe pas_», a-t-elle déclaré.

On peut dire que le Gouvernement a fait le choix délibéré de ménager l’Ouganda puisque dans le communiqué qu’il a publié le 11 juillet 2024, aucun des 6 paragraphes ne cite ce pays.

Au contraire, il charge le Rwanda non sans dire du Gouvernement, au paragraphe 4, qu’il «appelle toutes les Nations civilisées, éprises de paix et de justice, ainsi que l’ensemble de la communauté internationale, à prendre des mesures politiques, économiques et judiciaires sévères à l’encontre du Rwanda et de ses dirigeants, dont les troupes opérant en République Démocratique du Congo ciblent aussi les casques bleus et les infrastructures de la MONUSCO qui sont des faits constitutifs de crimes de guerre_». Ce qui est du reste vrai.

Sauf cas inverse, le Gouvernement congolais s’est aligné sur la position du Département d’Etat. Dans sa Déclaration du 11 juillet, le Gouvernement américain en a fait autant : pas un mot sur l’implication de l’Ouganda.

Pourquoi alors Kinshasa et Washington épargnent Kampala ?

La question, à ce stade, est de savoir si oui ou non cette implication est avérée autant que l’est celle du Rwanda.

La réponse est aux point 55, 56, 57 et 58 de leur Rapport. Sous l’intertitre «Ouganda : appui au Mouvement du 23 mars et à l’Alliance Fleuve Congo», les experts du Panel des Nations Unies sont formels. «Depuis la résurgence de la crise du M23, l’Ouganda n’a pas interdit les troupes du M23 et de la RDF ni leur passage sur son territoire, y compris lorsque le M23 a pris Bunangana, le 12 juin 2022, avec l’appui de la RDF (S/2022/967, par. 52)_», accusent-ils.

Au point 56, ils affirment : «Malgré les preuves attestant du passage régulier de troupes, de véhicules et de matériel militaire du M23 et de la RDF sur le territoire ougandais, le Gouvernement ougandais, y compris son service de renseignement militaire, dément la présence de troupes ou de matériel étrangers sur son territoire depuis le début de la crise du M23. Toutefois, l’ampleur et la fréquence des mouvements font qu’il y a peu de chances qu’une telle présence passe inaperçue. Par exemple, depuis 2022, les combattants du M23 ont régulièrement dit que les fournitures et les nouvelles recrues acheminées vers leurs camps passaient par les villes frontalières ougandaises de Kisoro et de Bunangana_».

Au point 57, ils révèlent que «Le Groupe d’experts a également obtenu des preuves confirmant le soutien actif donné au M23 par certains responsables des UPDF et le commandement des services de renseignement militaire. Des sources de renseignement et des personnes proches du M23 ont également confirmé la présence d’officiers du renseignement militaire ougandais à Bunangana depuis au moins la fin de l’année 2023 pour assurer la coordination avec les chefs du M23, fournir de la logistique et transporter les chefs du M23 vers les zones contrôlées par le M23. En outre, le 27 janvier 2024, plusieurs sources ont vu des soldats ougandais passer par Kitagoma pour se rendre en République démocratique du Congo et mener des opérations dans les zones contrôlées par le M23, en particulier le groupement Busanza et la ville de Rutshuru, d’où un groupe est allé vers Tongo et l’autre vers Mabenga_».

Ils notent au point 58 : « …des chefs du M23, y compris Sultani Makenga, qui fait l’objet de sanctions, se sont rendus à Entebbe et à Kampala en violation de l’interdiction de voyager_».

Ils utilisent l’affirmatif et non le conditionnel.

Quelle est cette nation civilisée, éprise de paix et de justice… ?

Que s’est-il alors passé pour que le Gouvernement congolais prenne la même position que le Gouvernement américain, et encore la même date ? Signal d’une normalisation ? Peut-être.

Seulement voilà : si la préoccupation première est vraiment humanitaire comme on semble bien se préoccuper du sort des déplacés de guerre, on se doit d’admettre qu’en Ituri et au Nord-Kivu, les Adf-Nalu tuent les Congolais plus que le M23 et l’AFC réunis. Et si le déplacement de la population est dû au crépitement des balles, ça devra être plus du fait des premiers que des seconds.

Puisque cela semble ne pas en être le cas, on peut, sur base de cette évidence, supposer que les déplacements de la population pour cause de guerre obéissent à un agenda à appréhender et à circonscrire. C’est comme s’ils sont planifiés pour susciter une crise humanitaire susceptible de justifier l’exercice du droit d’ingérence humanitaire.

Pour l’heure, force est d’en faire le constat : la mutualisation des forces armées congolaises et ougandaises convenue en 2021 ne produit pas les résultats espérés, trois ans et demi après. Vraisemblablement, elle se fait au détriment des Fardc et, par ricochet, de la RDC, c’est-à-dire au profit de l’Updf et, hélas !, des Adf-Nalu, donc de l’Ouganda. Ce qui incite à supposer l’Ouganda de Yowerie Museveni de loin perfide par rapport au Rwanda de Paul Kagame dans ses relations avec la RDC de Félix Tshisekedi.

Entre-temps, la préoccupation première est de savoir s’il a réellement fallu la publication du rapport des experts des Nations Unies pour que la RDC découvre cette perfidie ! Évidemment non. A en croire Thérèse Kayikwamba Wagner et Patrick Muyaya, les services congolais ont accédé à l’information impliquant Kampala dans la ” montée en puissance” de la coalition M23/AFC.

Pour l’opinion qui ne le sait pas, la lettre de présentation de ce rapport au Conseil de sécurité de l’Onu date du 31 mai 2024. Le rapport a été officiellement présenté le 4 juin 2024. Ce qui suppose que les enquêtes remontent à avant fin mai. Cela sous-entend qu’un tel document, jusqu’à sa présentation depuis juin dernier, pouvait être ignoré des pays membres permanents du Conseil des Nations Unies, mais pas quand même tous !

Même s’il est techniquement impossible de le prouver, il est tout aussi techniquement impossible que tous n’en aient pris connaissance qu’à partir du 31 mai ou du 4 juin 2024. Quelques-uns, sinon tous, savaient. Le Gouvernement congolais reconnaît tacitement qu’il savait, lui aussi. D’où cette question : qu’est-ce qui justifie ses réserves à l’égard de l’Ouganda ? Ceci de un.

De deux, on peut comprendre que Kinshasa en vienne à caresser dans le sens du poil les Nations qu’il qualifie de «civilisées, éprises de paix et de justice» et leur demande de prendre des «mesures politiques, économiques et judiciaires sévères à l’encontre du Rwanda et de ses dirigeants».

Il sait pourtant qu’elles ne franchiront jamais le Rubicon.

Ainsi, le Gouvernement agit comme s’il ne veut pas réaliser leur refus d’enjoindre le Conseil de sécurité de l’Onu à appliquer la Charte en cas d’agression. Car, le fait pour ces nations de demander au Rwanda de retirer ses troupes présentes sur le territoire congolais sans y avoir été invitées par l’Autorité congolaise établie est une preuve d’agression.

Au regard de ce qu’elles font de cette preuve, qui profite autant au Rwanda qu’à l’Ouganda, ces nations envoient à la RDC un message clair : le leadership congolais se livre à trop de gesticulations dans la gestion d’un enjeu qui ne rassure ni de l’avenir, ni du devenir de ce qui lui sert de pays.

Le Congo ressemble au mauvais serviteur cité dans la Parabole des Talents…

 

Omer Nsongo die Lema

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