Aujourd’hui, en R.D. Congo, l’opposition entre l’Eglise – particulièrement l’Eglise catholique – et l’Etat est à la une de plusieurs médias. Et les commentaires vont dans tous les sens. Qu’à cela ne tienne !
En homme d’Eglise, je voudrais relire cette opposition à la lumière des lignes directrices de l’Evangile chrétien.
D’une manière globale, l’Evangile connait les oppositions entre le prophète et le roi, entre le camp de Jésus et celui de l’autorité politique d’alors. Dans ces différentes circonstances, Jésus ne prend l’initiative de défier l’autorité politique qu’en réaction à une provocation pour préciser le sens de sa mission.
Ainsi, face aux Douze qui confondent l’être disciples et la course au pouvoir, Jésus répond en faisant référence aux comportements des tenants du pouvoir politique : « Les rois des nations agissent avec elles en seigneurs, et ceux qui dominent sur elles se font appeler bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel ! » (Luc 22,25-26 ; lire aussi avec intérêt Luc 13,31-33) ; dans les controverses sur le civisme fiscal, Jésus se montre prudent et désintéressé : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Marc 12,17 ; lire aussi avec intérêt Matthieu 14,27), etc. A travers ces différentes péricopes, Jésus réagit en invitant les disciples à s’attacher plutôt à la logique du Royaume de Dieu.
Paradoxalement, dans l’actualité de l’opposition entre l’Eglise et l’Etat, les choses se passent comme s’il y avait une lecture inversée du paradigme christique. Dans leurs déclarations politiques et politisées, les autorités ecclésiastiques prennent des initiatives et vont pour ainsi dire en guerre contre les autorités politiques établies. Ce comportement les éloigne franchement du modèle christique. Il y a inversion des paradigmes !
En conséquence, les citoyens – croyants et non-croyants – se voient soumis à une guerre médiatique déconcertante, mieux à un jeu de ping-pong où religieux et politiques se lancent des projectiles, jeu que l’Evangile qualifierait d’enfantin : « A qui vais-je comparer cette génération ? Elle est comparable à des enfants assis sur les places, qui en interpellent d’autres : ‘Nous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé ! Nous avons entonné un chant funèbre, et vous ne vous êtes pas frappé la poitrine’ » (Matthieu 11,16-17).
En effet, de Lubumbashi (Kashobwe), on entend :
« Les premiers gestes du Président de la République en 2019 étaient porteurs d’espoir pour un Etat de droit, notamment l’ouverture de l’espace politique et médiatique, la libération des prisonniers politiques et le retour au pays des exilés. Malheureusement, nous observons aujourd’hui un recul déplorable caractérisé par la répression violente des manifestations de l’Opposition, la restriction de la liberté de mouvement des opposants, des tentatives des projets des lois discriminatoires, l’instrumentalisation de la justice et les arrestations arbitraires … » (Message de la 60ème Assemblée plénière de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), n° 11, Lubumbashi le 22 juin 2023).
Et de Mbuji-Mayi, l’on entend :
« L’Etat et l’Eglise, particulièrement l’Eglise catholique, ont l’obligation … et le devoir de collaborer, de marcher ensemble … Et c’est peut-être ici l’occasion pour moi de tirer une sonnette d’alarme par rapport à une certaine dérive constatée au sein de l’Eglise catholique, une dérive que je qualifierais de dangereuse, surtout en cette année électorale. L’Eglise doit être au milieu du village … l’Eglise doit être au milieu des Congolais ; elle doit prêcher l’amour, l’unité et l’égalité. L’Eglise doit accompagner toutes les filles et tous les fils de la République qui sont en politique de la même manière, sans distinction aucune ; car il y va de la stabilité de notre cher pays … » (Discours du Président de la République à Mbuji-Mayi, le 25 juin 2023).
Ces échanges à caractères belliqueux, entretenus tant par leurs auteurs pour des motifs inavoués que par les médias tireurs des ficelles, n’auraient peut-être pas pris autant d’ampleur si les représentants de Jésus-Christ en R. D. Congo, c’est-à-dire les autorités ecclésiastiques, n’avaient pas abandonné le paradigme christique pour se constituer en porte-parole politisés d’une Eglise qui devrait normalement demeurer au milieu du village, vivre et dire la vérité de son divin Maitre : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. » (Jean 18,19).
Je reste toutefois convaincu que certaines autorités ecclésiastiques se repentiront d’avoir dévié du paradigme christique et qu’elles se mettront, en toute charité, à vivre et à dire la vérité de Jésus-Christ aux uns et aux autres.
Father Arthur Lubwika