Bruxelles pour une plainte de Kinshasa à charge de Kigali auprès de la CIJ ; Kinshasa plutôt pour une plainte contre Apple !

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Double date et double fait à bien retenir : 19 et 24 avril 2024. Premier fait : le 19 avril 2024, au cours d’une conférence de presse qu’elle tient à Goma, l’ambassadrice de Belgique en RDC Roxane de Bilderling déclare : « Nous avons clairement demandé au Rwanda de retirer ses troupes. Une mesure efficace serait que le Congo introduise une plainte auprès de la Cour internationale de justice pour le non-respect des frontières internationales». Les médias présents rapportent comme premier ajout de sa part le précédent ougandais ayant « déjà permis au Congo de gagner des cas et d’obtenir des réparations pour les préjudices subis » et comme second ajout : « une telle démarche devant la Cour internationale de justice pourrait inciter d’autres pays à reconnaître et à réagir à la situation ». Second fait : des médias occidentaux francophones et anglophones reprennent en chœur un article faisant état de l’acquisition, par la firme américaine Apple, des minerais exploités illégalement et passant par le Rwanda…

En d’autres termes, une grosse bataille s’ouvre…

Autant commencer par le second fait. Il ressort de l’article rédigé par les avocats français William Bourdon et Vincent Brengarth mandatés par la RDC que «la société Apple utilise dans ses produits des minerais stratégiques achetés au Rwanda» et que « Le Rwanda est un acteur central de l’exploitation illégale de minerais et notamment de l’exploitation de l’étain et du tantale en RDC». Ils affirment : « Après leur extraction illégale, ces minerais sont importés par contrebande au Rwanda, où ils sont intégrés dans les chaînes d’approvisionnement mondiales».

Les avocats français soulignent aussi que « La responsabilité d’Apple, et au-delà des grands fabricants de high-tech, quand ils utilisent des minerais du sang, est restée depuis longtemps une boîte noire », qualifiant au passage de «notoirement insuffisants», les «différents engagements et précautions pris» par Apple, cela « soit d’initiative, soit en application de la loi s’agissant de l’utilisation des minerais achetés au Rwanda».

Aussi, arguent-ils que « La RDC entend moraliser le secteur de l’extraction des minerais rares, surtout quand ils sont extraits au prix de la commission des crimes les plus graves et parfois au bénéfice de ceux qui les commettent».

Dans leur mise en demeure, ces avocats font constater que « La société Apple semble s’appuyer principalement sur la vigilance de ses fournisseurs et leur engagement à respecter le code de conduite d’Apple, ainsi que les audits externes réalisés sur l’activité de ces fournisseurs. Or, tant ces fournisseurs que les entreprises d’audit apparaissent s’appuyer sur la certification ITSCI dont les dysfonctionnements graves et nombreux ont été démontrés».

Selon l’ONG britannique Global Witness « Le programme Initiative de la chaîne d’approvisionnement de l’étain (ITSCI) est un des principaux mécanismes mis en place il y a plus de 10 ans pour assurer un approvisionnement en minerais ‘libres de conflit’ et extraits de façon responsable en RDC»

Fait, au demeurant, confirmé et appuyé dans un rapport de l’ONG américaine The Enough Project publié en 2015. Il y est dit : « ces sites de minerais apparaissent souvent contrôlés par des groupes armés qui contraignent, par la violence et la terreur, des civils à y travailler et à transporter ces minerais. Des enfants sont également forcés à travailler dans ces mines».

Bien entendu, est indexé le M23.

Prévenue par les avocats français que « Toutes les options judiciaires sont maintenant sur la table», la firme américaine contactée par l’Afp, relève l’article, « a renvoyé à des éléments publiés dans son rapport annuel de 2023 sur les minerais du conflit. Celui-ci indiquait n’avoir “trouvé aucune base raisonnable pour conclure que l’une des fonderies ou raffineries de 3TG (étain, tungstène, tantale, or) déterminées comme faisant partie de notre chaîne d’approvisionnement au 31 décembre 2023 a directement ou indirectement financé ou bénéficié à des groupes armés en RDC ou dans un pays limitrophe».

En d’autres termes, une grosse bataille s’ouvre. Vont s’y engouffrer tous les pays, toutes les multinationales, toutes les ONG et tous les médias de la filière…rwandaise.

Pareil débat est à laisser aux juristes

En attendant, il y a le premier fait, à savoir le conseil prodigué par la diplomate belge. Qu’est-ce que Kinshasa en a fait. Certes, les autorités congolaises ont déjà saisi la Cour pénale internationale (CPI) pour des enquêtes sur les crimes commis au Nord-Kivu depuis janvier 2022. En plus, lors de la 22ème session de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, la ministre d’État Rose Mutombo en charge de la Justice et Garde des Sceaux a appelé les États membres à appuyer « la plainte déposée par son pays pour les crimes perpétrés par les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda, dans l’est de la RDC».

Depuis, le Congo est-il allé jusqu’au bout de la logique ? Avant de répondre, il y a lieu de retenir qu’on est en présence de deux instances judiciaires internationales, toutes domiciliées à La Haye (Pays-Bas), à savoir la Cour internationale de justice (CIJ) et la Cour pénale internationale (CPI).

La première est l’organe judiciaire principal des Nations Unies. Son statut est annexé à la Charte de l’ONU dont il est partie intégrante. Elle traite des différends entre Etats. La seconde est « une juridiction pénale internationale permanente, et à vocation universelle, chargée de juger les personnes accusées de génocide, de crime contre l’humanité, de crime d’agression et de crime de guerre».

Il est bien dit : personnes.

Vraisemblablement, la RDC a saisi la Cour Pénale Internationale (CPI) pour les « crimes perpétrés par les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda, dans l’est de la RDC» sans toutefois porter plainte à charge du Rwanda pour agression. Autrement, la diplomate belge n’aurait pas suggéré la plainte auprès de la CIJ.

A partir de cet instant, le congolais lambda a le droit de savoir pourquoi avoir saisi la Cpi pour les conséquences sans saisir la Cij pour la cause ! Pareil débat est certes à laisser aux juristes, mais les observateurs avisés ne peuvent pas s’empêcher de reconnaître le bien-fondé de l’initiative de la diplomate belge.

Ça s’appelle distraction

Après tout, il y a le précédent ougandais ayant fait l’objet d’une dépêche de ONU Infos publiée le 11 avril 2005 sous le titre : « La Cour de Justice internationale examine le différend entre la RDC et l’Ouganda ». Il est question de la plainte de la RDC à charge de l’Ouganda pour « agression armée commise sur son territoire». Saisie en 1999, la CIJ avait prévu les dates du 11 au 29 avril 2005 pour examen des arguments des parties.

Dans sa plainte, la RDC avait estimé que « cette agression armée avait ‘entraîné entre autres la violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la République démocratique du Congo, des violations du droit international humanitaire et des violations massives des droits de l’homme». Evidemment, la RDC avait réclamé des dédommagements pour « tous les pillages, destructions, déportations de biens et des personnes et autres méfaits» imputés à l’Ouganda.

Ce sont les mêmes effets comparés à l’agression rwandaise.

La dépêche se termine par le rappel de la mission de la CIJ : « régler conformément au droit international les différends d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats et donner des avis consultatifs sur les questions juridiques que peuvent lui poser les organes ou institutions spécialisées de l’ONU autorisés à le faire».

Certes, à l’époque des faits, la CPI n’existait pas. Elle a été mise en place en juillet 2002, contrairement à la CIJ créée en juin 1945. A ce qu’on sache, la « vieille dame » n’a pas vu ses prérogatives transférées à la « jeune dame ».

Résultat : la question pertinente revient : pourquoi la RDC s’est-elle limitée à la CPI sans intéresser la CIJ, pourtant première concernée en matière d’agression !

Avec la campagne médiatique et judiciaire enclenchée contre Apple par les avocats français à l’initiative de Kinshasa, il y a risque de voir la proposition de l’ambassadrice de Belgique Roxane de Bilderling tomber dans les oubliettes.

La preuve est que depuis le 19 avril 2024 qu’elle a été publiquement faite, elle n’a figuré ni dans l’ordre du jour du dernier conseil des ministres, ni dans le briefing du porte-parole du Gouvernement. Le ministère d’Etat en charge des Affaires étrangères s’abstient jusque-là de la commenter. Bref, elle est superbement ignorée.

Par contre, après la parenthèse des primaires, on vivra à partir du jeudi 25 avril 2024 une forte mobilisation de la campagne contre Apple ; les minerais transitant par Kigali n’étant que la conséquence de l’agression faisant, elle, l’objet de la Charte des Nations Unies, matière relevant de la compétence de la Cour de justice internationale.

N’en déplaise à ceux qui veulent s’y complaire : ça s’appelle distraction.

Donner priorité aux conséquences et non à la cause incite à poser cette question décisive : « Oui ou non, y a-t-il agression ?». Et de répondre (à la kinoise) par une autre question : « Si oui, pourquoi alors la CPI et non la CIJ ? ».

Omer Nsongo die Lema

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