Éthiopie : « Le peuple du Tigré a connu l’enfer »

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Mgr Tesfaselassie Medhin, évêque de l’éparchie éthiopienne d’Adigrat – à l’extrême nord du pays, en pleine zone de conflit – témoigne auprès de l’AED des terribles violences commises contre le peuple du Tigrée. Certaines parties de son diocèse sont toujours occupées et de nombreuses routes ne sont pas sûres.
« Pendant la guerre, [qui s’est achevée en novembre 2022] nous étions complètement isolés. Internet et le téléphone ne fonctionnaient pas, et nous pouvions à peine sortir de chez nous parce qu’il y avait des groupes armés partout », explique Mgr Tesfaselassie Medhin, évêque de l’éparchie catholique d’Adigrat (Ethiopie).
Plus d’un million de morts
Il qualifie cette guerre de « génocide » contre le peuple du Tigré : « Les habitants du Tigré ont connu l’enfer : il y a eu des viols collectifs et des personnes assassinées devant les membres de leur famille – parmi les victimes, il y avait même des enfants et des femmes âgées. Plus d’un million de personnes ont été tuées. Des tortures et des massacres ont eu lieu. Les livraisons d’aide ont été bloquées », raconte l’évêque, dont le diocèse comprend toute la région du Tigré déchirée par la guerre. Déjà en septembre 2022, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a évoqué une « situation humanitaire catastrophique au Tigré ». En juin 2022, l’Organisation Mondiale de la Santé parlait de plus de 2,8 millions de personnes déplacées.
Mgr Medhin explique : « Dans les zones de mon diocèse qui sont actuellement accessibles, l’Église a subi des dégâts matériels équivalents à 37 millions d’euros. Mais les dégâts en vies humaines et l’impact psychologique lié aux atrocités commises sont incommensurables. Tout le monde est traumatisé ! » Selon l’évêque, certaines victimes de viol se sentaient indignes et n’osaient pas rentrer chez elles. Le risque de suicide parmi elles était très élevé : « Ces femmes ont été détruites physiquement et mentalement. » Dès décembre 2021, des experts des droits de l’homme de l’ONU avaient exprimé leur « profonde préoccupation face à la violence sexuelle et sexiste généralisée ».
Soigner les traumatismes
Mgr Medhin explique à l’AED qu’il avait déjà essayé de mettre en place un réseau de spécialistes pendant le conflit afin de venir en aide aux personnes traumatisées et de leur fournir une assistance médicale. « Nous avons loué un endroit dans la ville où les gens pouvaient être traités en toute confidentialité », explique l’évêque. Les catholiques ne représentent que 1% des sept millions de citoyens du Tigré, mais en raison de l’engagement de l’Église catholique dans les secteurs de la santé, de l’éducation et du social, elle est d’une importance capitale pour 25% de la population, estime l’évêque. Monseigneur Tesfasellassie Medhin, évêque de l’Eparchie catholique d’Adigrat en Ethiopie. « Ma plus grande reconnaissance va à mes collègues du ministère pastoral », explique-t-il. « En raison des dangers, les ONG ont quitté le pays au milieu du conflit. Mais les religieux – dont plus de 30 missionnaires venus de l’étranger – et les prêtres ne se sont pas enfuis, ils sont restés là, au service du peuple du Tigré.
Ils ont ainsi offert un témoignage parfait du „serviteur souffrant“ du livre d’Isaïe, qui a donné sa vie pour le salut des autres. » Depuis la fin de la guerre, le diocèse a été en mesure de mettre en œuvre officiellement des projets de guérison des traumatismes pour les innombrables personnes mutilées et handicapées par les explosions, pour tous ceux qui ne peuvent pas faire face aux atrocités qu’ils ont vécues ou vues. Selon Mgr Medhin, il n’est pas possible de surmonter ce qui a été vécu sans faire face à ce qui s’est passé et sans prendre en compte la dimension spirituelle : « Nos programmes de guérison des traumatismes s’appuient sur la Bible, car sans la foi, à mon avis, la guérison des traumatismes n’est pas complète », affirme l’évêque. « Lors des sessions, par exemple, nous nous penchons sur la souffrance de Jésus le Vendredi Saint, ou nous regardons le fils prodigue qui – même si sa souffrance était due à sa propre faute – a été traumatisé, à la fin de son voyage, par l’isolement, le rejet et le sentiment d’indignité. »
La situation demeure tendue
À l’avenir, l’AED souhaite soutenir le diocèse avec des projets de guérison des traumatismes, ce qui n’a pas été possible jusqu’à présent en raison du conflit : « L’AED a toujours été à nos côtés sans hésiter, mais pendant la guerre, nous avons été privés de la possibilité de communiquer avec l’œuvre de bienfaisance », déclare l’évêque. Compte tenu de l’ampleur de la tragédie, mais aussi du fait que le Tigré n’est toujours pas parvenu à une paix complète, tout soutien est extrêmement précieux, ajoute-t-il. Malgré l’accord de paix de novembre 2022, la situation au Tigré reste tendue : un tiers des 130 000 kilomètres carrés du diocèse est toujours occupé, l’évêque n’a donc pas accès à ces zones. Il n’a pas vu certains de ses prêtres depuis quatre ans – d’abord à cause de la pandémie de Coronavirus, puis à cause de la guerre. Dans les territoires occupés, les écoles sont restées fermées, si bien que les enfants n’ont reçu aucune formation scolaire depuis quatre ans. À Adigrat, où se trouve le siège épiscopal, il y a encore 50 000 personnes déplacées qui ne peuvent pas regagner leur domicile. La liberté de mouvement en général demeure restreinte, car les routes restent peu sûres. Mgr Medhin explique que des milliers de personnes continuent de mourir à cause de la violence, des pénuries alimentaires et de l’absence des services essentiels. Il déplore : « Comment le monde peut-il se contenter de regarder et de rester les bras croisés ? » La région du Tigré est la région la plus septentrionale de l’Éthiopie et se trouve à la frontière de l’Érythrée et du Soudan. Environ 95% de la population est chrétienne et appartient à l’Église copte orthodoxe éthiopienne et au groupe ethnique des Tigréens. Même si la guerre a entraîné la mort de nombreux chrétiens, la violence au Tigré ne reposait pas sur des motivations religieuses, mais politiques.

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