ENTRETIEN EXCLUSIF – Le dirigeant de la République démocratique du Congo demande à Emmanuel Macron de jouer de son influence pour que Kigali cesse «de piller et de terroriser» l’est de son pays.
En visite en France en début de semaine, Félix Tshisekedi1 a été reçu à déjeuner à l’Élysée, avec son épouse, par le couple Macron, puis a rencontré des décideurs économiques à Bercy. Le président de la RDC a été réélu en décembre dernier pour un mandat de cinq ans.
LE FIGARO. – Votre rencontre avec le président Macron a-t-elle été à la hauteur de vos attentes?
FéLIX TSHISEKEDI. – Je suis satisfait de cette rencontre avec Emmanuel Macron, qui a évolué depuis sa visite à Kinshasa, en mars 2023. C’est un président jovial et sympathique sur qui, je pense, la République démocratique du Congo peut compter.
Qu’avez-vous demandé en priorité?
Nous nous sommes mis d’accord sur beaucoup de choses, notamment sur les sanctions que la RDC demande à la communauté internationale de prendre contre le Rwanda. Ce pays, qui est notre voisin, viole notre territoire pour piller nos minerais critiques et terroriser nos populations. Nous ne quémandons pas la pitié. Nous voulons que la France joue de son influence en qualité de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, tout comme la Chine ou les ÉtatsUnis, pour châtier le régime rwandais. Pourquoi y aurait-il deux poids, deux mesures? Pourquoi, d’un côté, la Russie qui envahit l’Ukraine serait sanctionnée, et pas le Rwanda, de l’autre, qui nous agresse depuis trente ans? C’est inexplicable.
Un drame humanitaire se déroule dans l’est de la RDC…
Mais c’est un génocide qui se produit là-bas, dix fois plus grave que celui qui a frappé le Rwanda en 1994! Il est documenté, et toutes les organisations internationales peuvent en témoigner. Depuis trente ans, cette tragédie a fait dix millions de morts, provoqué le déplacement de sept millions de personnes dans des conditions infrahumaines. Je suis à la tête du pays qui abrite le plus de personnes déplacées par la force au monde. Et cela par la faute du Rwanda, qui veut la balkanisation ethnique de la République démocratique du Congo.
Vous reprochez au Rwanda de soutenir le M23, mouvement constitué de Tutsis qui pourchassent les génocidaires hutus de 1994 venus se réfugier en RDC, que le président rwandais vous accuse d’armer…
Le M23 n’est qu’une coquille vide! Il ne compte peut-être que 500 miliciens. Non, ce sont des militaires rwandais qui sèment la mort sur notre sol. Ils ne répondent à aucune idéologie. Ils sont là pour nous piller et introduire l’anarchie en RDC. Paul Kagamé2, le président rwandais, n’a cessé de le nier dans des sommets internationaux jusqu’à ce que des experts de l’ONU documentent récemment ce que j’affirme haut et fort.
Le caractère criminel des atrocités commises par Kagamé et sa bande – pillage du sous-sol et massacre des populations – est connu depuis longtemps
Sa défense a alors consisté à dire que la RDC armait, de son côté, le mouvement FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda, constituées d’anciens génocidaires hutus rwandais, NDLR). Ce qui est archi-faux. Le caractère criminel des atrocités commises par Kagamé et sa bande – pillage du sous-sol et massacre des populations – est connu depuis longtemps! Le rapport Mapping des Nations unis dénonçait déjà les crimes de guerre perpétrés en RDC, de 1993 à 2003, par les Rwandais, les Burundais et les Ougandais. L’inertie de la communauté internationale est incompréhensible.
Quelles sanctions réclamez-vous contre le Rwanda? Et demandez-vous aussi des poursuites judiciaires contre son président?
Ce n’est pas à la RDC de dicter les sanctions qui doivent pénaliser le Rwanda. Quant à Paul Kagamé, il mérite beaucoup plus que la Cour pénale internationale!
Dans ces conditions, un dialogue est-il toujours d’actualité avec Kigali?
Une initiative existe en ce sens sous l’égide du président angolais, Joao Lourenço. Nos délégations vont se retrouver à Luanda ces jours-ci pour travailler et trouver un terrain d’entente. Moi, je demande une chose simple: que le Rwanda retire ses troupes du territoire congolais.
Si un terrain d’entente n’est pas trouvé, une guerre est-elle possible entre la RDC et le Rwanda?
Bien sûr, qu’une guerre est possible, je ne vous le cache pas. Mais je veux reculer cette échéance le plus loin possible car je préfère mettre toute notre énergie et nos richesses au profit du développement des 145 territoires de la RDC plutôt que dans l’effort militaire. J’ai procédé à de nombreuses réformes pour encourager notre économie. Malheureusement, l’insécurité qui règne à l’est fait peur aux investisseurs. Je veux néanmoins rester optimiste, car notre cause est juste. Nous finirons par avoir raison.
J’ai effectivement chargé un cabinet d’avocats américain et un autre français de lancer une action contre Apple
Vous voulez également engager une action en justice contre les multinationales qui exploitent ou achètent les richesses de votre sous-sol…
J’ai effectivement chargé un cabinet d’avocats américain et un autre français de lancer une action contre Apple3. Je veux que s’arrête l’exploitation illégale et clandestine, le pillage barbare de nos minerais critiques par des firmes multinationales. Cela représente des milliards et des milliards de dollars et une véritable prime à la guerre. Ces firmes se fournissent, c’est prouvé, via le Rwanda, lequel n’a aucune ressource dans son sous-sol.
Qu’avez-vous dit à Emmanuel Macron à propos de la protection, contre les menaces de l’État islamique, des gisements de gaz de TotalEnergies par des troupes rwandaises, au nord du Mozambique?
C’est à la France de savoir ce qu’elle fait, elle est souveraine. Mais une mise au point s’imposerait si nous nous rendions compte que les contingents rwandais envoyés au Mozambique et assistés par l’État français étaient ensuite dirigés pour nous faire la guerre en RDC. Cela provoquerait un risque de crise diplomatique évident avec Paris.
La Chine, avec qui vous étiez un peu en froid, reste-t-elle votre premier partenaire commercial?
De très loin. Je suis cependant allé à Pékin, en mai 2023, pour renégocier certains contrats afin que notre partenariat, qui était en notre défaveur, devienne gagnant-gagnant. Les bases de notre collaboration, notamment dans les mines, ont été corrigées, et la confiance est revenue.
Vous n’avez pas rompu avec la Russie de Vladimir Poutine?
Non, même si la RDC a condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie à l’ONU. La Russie n’a jamais été un partenaire économique important. Elle manifeste aujourd’hui un certain intérêt pour la RDC, où elle est la bienvenue. L’Ukraine aussi, qui va ouvrir une ambassade à Kinshasa.
La France non plus n’est pas un de vos premiers partenaires économiques…
Elle a pourtant toute sa place chez nous, car nous sommes le premier pays francophone du monde, avec plus de 100 millions d’habitants. J’en profite pour dire qu’il n’est pas question de quitter l’Organisation internationale de la francophonie, ainsi que le laisse entendre une rumeur. Par ailleurs, nous allons renforcer notre coopération militaire avec Paris. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, doit prochainement venir en RDC à cet effet.
Après un moratoire de vingt ans, vous avez rétabli la peine de mort en RDC. Pourquoi?
Pour sanctionner les traîtres dont notre armée est malheureusement truffée avec les brassages de population qui ont lieu depuis des années dans l’est du pays. Le nombre d’éléments infiltrés du Rwanda représente une sérieuse menace. La peine de mort est donc une arme dissuasive pour lutter contre la subversion. Elle n’est pas applicable contre les criminels de droit commun.
Lorsque nous aurons assaini notre armée, je souhaite abolir la peine de mort. Des poursuites judiciaires, récemment contre un journaliste et actuellement contre un prélat, défraient la chronique. Pourquoi ces atteintes à la liberté d’expression?
Si vous êtes journaliste et que vous tenez des propos mensongers et diffamants, comme ce fut le cas d’un journaliste après la mort d’un ministre, vous vous exposez à des poursuites judiciaires. Un journaliste n’est pas au-dessus des lois. Pareil pour le cardinal Fridolin Ambongo, l’archevêque de Kinshasa. Il s’est récemment fait le propagandiste du Rwanda en disant que la RDC armait les miliciens hutus des FDLR. Mais qu’il le démontre.
Je me suis suffisamment battu dans l’opposition en faveur de la liberté d’expression pour ne pas en être aujourd’hui le fossoyeur.
La liberté d’expression ne doit pas servir à affirmer des mensonges, même quand vous êtes cardinal! Je soulignerai que c’est la justice qui œuvre à chaque fois. La séparation des pouvoirs est respectée. Avec toute ma famille, mon père en tête, je me suis suffisamment battu dans l’opposition en faveur de la liberté d’expression pour ne pas en être aujourd’hui le fossoyeur. La liberté d’expression est garantie en RDC.