Marche des chrétiens du 16 février 1992 : Et le peuple brava la dictature !

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Trente-deux  ans se sont écoulés depuis que, le 16 février 1992, les Kinois avaient pris la décision de braver la dictature de Mobutu que voulait pérenniser son Premier Ministre Nguz-A-Karl-I-Bond. A l’appel du Comité laïc de coordination, une association catholique laïque,  des milliers des Kinois  (Habitants de Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo) les Kinois sont  descendus dans la rue pour une marche pacifique dénommée « marche de l’espoir».  Les manifestants revendiquaient la réouverture de la Conférence Nationale Souveraine (CNS), fermée le 19 janvier 1992 « avec force »,  par le Premier ministre Nguz-A-Karl-i-Bond. Selon Paul Mido Onféré, l’un de l’équipe des neufs intellectuels catholiques initiateurs de la marche du 16 février 1992. «Tout est parti d’un appel des évêques». Bien qu’initiée par Comité laïc de coordination catholique, cette marche a connu la participation d’autres confessions religieuses, non seulement dites chrétiennes, mais également des musulmans autres non chrétiens. Toutefois, le document lançant l’appel ayant  été écrit et signé par Pierre Lumbi et François Kandolo, deux membres du Comité Laïc de Coordination, donc initié par les ‘chrétiens’ bien qu’ayant obtenu l’adhésion massive de la population y compris de l’opposition de l’époque dont l’UDPS actuellement au pouvoir et l’USORAL, la marche du 16 février 1992 est mieux identifiée comme étant la  « Marche des Chrétiens ».

Le document a été écrit  et signé par deux  membres du Comité Laïc de Coordination  composé de Pierre Lumbi Okongo, François Kandolo, Benjamin Buanakabwe, Mme Marie-Thérèse Mulanga Kamuanya, Mme Marie Baku, Paul Midi Onféré, Pr Kabemba François  de l’Unikin, Dimandja Wembi Journaliste à l’OZRT actuellement RTNC et  Sr Georgette (une religieuse catholique).

Lancé le même jour dans toutes les paroisses catholiques de Kinshasa, le document du Comité Laïc de Coordination  (CLC), invitait «le peuple de Dieu et les hommes de bonne volonté à participer à cette  Marche d’Espoir pour sauver la nation zaïroise», a donc été le déclic de la marche.

«Un message qui résonnait comme une interpellation», selon Marie-Thérèse Mulanga Kamuanya, l’une des deux femmes de l’équipe des organisateurs de cette marche, au cours d’une interview accordée au studio Ngayime, dans le cadre du tournage d’un documentaire retraçant les évènements ayant marqué cette journée du 16 février.

Après la fermeture « avec force » de la Conférence Nationale Souveraine (CNS) par le Premier ministre Nguz, les archevêques et évêques membres du comité permanant des évêques du Zaïre (actuelle Conférence Episcopale nationale du Congo), réunis du 20 au 27 janvier 1992 à Kinshasa, avaient affirmé à la clôture de cette session que la CNS  était incontournable pour baliser le chemin de la démocratie au Zaïre de l’époque (Actuelle RDC).

 

Pourquoi la réouverture de la CNS était primordiale ?

 

Ce forum national, ouvert le 7 février 1991 à Kinshasa, aux lendemains de l’ouverture de l’ex-Zaïre (actuellement RDC) à la démocratie pluraliste par le Maréchal Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa Zabanga, avait pour objectif «de faire une évaluation sans complaisance de la situation politique du pays, avec  tolérance et justice afin de baliser le chemin de la démocratie et du changement social ». Mais dans un message radiotélévisé, le Premier ministre Ngunz fermera la CNS, expliquant sa décision par le fait que les travaux de la conférence coûtaient trop chers, qu’il y avait suprématie dans la représentativité des originaires du Kasaï surreprésentée parmi les conférenciers et que la CNS outrepassait ses compétences.

«Nous nous attendions certes à des jets de gaz lacrymogènes car nous savions que notre marche n’était soutenue ni par les pères de l’église, ni autorisée par le pouvoir en place », poursuit-il.  «Mais ce à quoi on ne s’attendait pas, c’est des tirs à balles réelles», dit-il dans un soupir.

L’objectif de ce regroupement spontané était de chercher par quel moyen pousser le régime en place à rouvrir la CNS. Le leadership de la manifestation était sur le CLC, étant donné que les parties politiques, particulièrement après le phénomène « BINDO », (une sorte de placement d’argent qui rapportait jusqu’à 7 fois la mise ou même le double après seulement trois jours) qui a qui pratiquement tétaniser l’opposition. Avec cette ‘perche’ de l’Eglise catholique,  l’UDPS et certains autres partis et regroupements politiques de l’opposition dont l’USORAL (Union sacrée de l’opposition radical et alliés) emboiteront les pas du CLC dans la  mobilisation.

Six points focaux seront proposés par le comité laïc de coordination pour la réussite de cette marche : à  Tshangu, les manifestants devraient se regrouper certains devant l’Eglise St Thérèse de N’Djili et d’autres devaient converger devant la boulangerie BKTF dans la commune de Kimbaseke. La paroisse St Joseph de Matonge et la place du   Tribunal de la Paix sur l’avenue Assossa seront choisis comme points de convergence pour les manifestants habitants les districts de la Funa et de Mont-Amba. Pour la Lukunga, le seul point de convergence sera la paroisse St. Sacrement à Binza Delvaux.

Des processions devraient donc être organisées à partir de chaque église, à la clôture de la première messe dominicale et devrait atteindre le point focal désigné par le comité organisateur. La foule ainsi formée devrait se diriger avec chants et prières vers le palais du peuple, la destination finale de cette marche d’espoir.

« Notre expérience était tout simplement la conscientisation de la population pour cette cause et des méthodes, des voies, des stratégies en cas de la répression qui pourraient se faire par des gaz lacrymogènes ou par de l’eau chaude, comment se protéger, comment faire parce que nous avons voulu que cette marche soit vraiment pacifique et donc non violente » précise l’abbé Denis Kialuta, membre du groupe Amos.

Eux à leur tour, avaient comme mission de former leurs frères catholiques et les membres de leurs formations citoyennes respectives pour que cette marche soit populaire, efficace et surtout pacifique.

La marche avait été réprimée dans le sang. Selon la Voix des sans voix pour les droits de l’Homme (VSV), trente-cinq personnes ont été tuées et beaucoup d’autres blessés. L’archidiocèse de Kinshasa a publié une liste de seize blessés graves et de vingt et une personnes mortes par balle.

«C’était un carnage, un massacre, une boucherie comme celui de la marche réprimée des étudiants le 04 juin 1969», affirmera Paul mido Onfere. «Je ne sais pas vous communiquer le bilan de ce massacre car la répression était organisée en deux escadrons : en première  ligne, il y avait des commandos qui tiraient sur les manifestants et en deuxième ligne ceux qui ramassaient des cadavres», précisera Paul Mido.

On dénombra des morts même en dehors des manifestants, victimes des effets collatéraux de la répression à l’instar  des non-marcheurs à Saint Joseph, à Yolo Kapela, à Kauka, au niveau de Poids Lourds ou au niveau de l’ISTA où les manifestants tentaient de se  regrouper.

Pour bien des observateurs, la conséquence majeure de cette marche reste incontestablement la réouverture de la CNS dont les résolutions seront ignorées par le Régime AFDL dont les métamorphoses ont générées le RCD, le CNDP, M23 et d’autres centaines de groupes armés à l’est appuyés par le Rwanda, responsables de plus 12 000 000 de morts en trente ans !

Pour  Jean-Marie Ntantu Mey, la journée du 16 février devrait être célébrée chaque année comme on célèbre le 4 janvier [Journée nationale des Martyrs de l’indépendance, elle est fériée].

« Si ceux qui sont morts le 4 janvier 1959 l’ont été pour conquérir l’indépendance, ceux du 16 février sont morts pour conquérir la démocratie », résume-t-il.

 

 

 

Willy Makumi Motosia

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