La crise qui affecte la partie Est de la République Démocratique du Congo a trop duré et son coût humain est trop élevé. Des millions de Congolais sont perpétuellement en mouvement, obligés de fuir leurs villages. Derrière ces drames humains incessants se cachent deux sujets préoccupants liés l’un à l’autre. Le premier sujet concerne les dynamiques migratoires dans une région densément peuplée. Le deuxième sujet touche à l’accès aux ressources, essentiellement les ressources naturelles.
Au moment où l’on entend de plus en plus d’appels à un dialogue entre la RDC et le Rwanda, il est important de lever les voiles qui brouillent la réalité d’un drame pas toujours bien expliqué, et le plus souvent présenté selon les termes d’un discours biaisé en faveur du Rwanda, passé maître dans la victimisation.
Le retour des réfugiés et le traitement à réserver à la problématique des biens dits spoliés sont deux des thèmes liés à la question de la stabilité de l’Est de la RDC. Les déclarations du Président Paul Kagame sur ce sujet sont indicatives du véritable enjeu de tout dialogue entre le Rwanda et la RDC. En janvier 2023, il déclarait : « Nous avons des réfugiés ici depuis plus de 20 ans, en provenance de la RDC. Je refuse que le Rwanda porte ce fardeau et soit insulté et maltraité chaque jour à ce sujet. (…) Bien sûr, nous n’allons pas chasser les réfugiés congolais qui sont ici. Ce que je veux dire, c’est que pour ceux qui pensent que le Rwanda est le problème, ramenez les réfugiés au Congo. Ils seront persécutés. Ils devront les protéger, ou les laisser se faire tuer. Ils doivent donc se pencher sur les autres problèmes, notamment le discours de haine (en RDC) qui crée des réfugiés. »
Le narratif qui ressort de ces déclarations permet d’avoir une idée des intentions des autorités rwandaises, à savoir créer un espace de relocalisation des réfugiés retournant du Rwanda, ce qui équivaudrait à la reconnaissance d’un espace spécial sur le territoire congolais où les populations supposées être discriminées trouveraient protection de la part des forces soutenues par l’armée rwandaise.
Cette note a un objectif modeste. Nous tentons d’y décrypter les dynamiques migratoires en nous servant de la riche base des données du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR). Le lecteur curieux pourra les vérifier à ces deux adresses https://www.unhcr.org/refugeestatistics et https://data.unhcr.org/en/countries.
Le nombre de Congolais reconnus comme réfugiés par le HCR a franchi la barre de 100 000 à partir de 1996. Depuis lors, ce chiffre n’a pas cessé d’augmenter d’année en année. A fin octobre 2023, 948 417 Congolais vivent en dehors de leur pays avec le statut de réfugié, dont 797 501 dans les neuf pays voisins. C’est l’Ouganda qui abrite le plus grand nombre de réfugiés (491 153, soit 51,8 % du nombre total des réfugiés congolais et 61,6 % des réfugiés congolais dans les pays voisins). Au 31 mars 2024, 1 063 508 congolais vivent comme réfugiés dans les pays africains.
Sur la période 1990-2023, 87,4 % de réfugiés congolais trouvent asile dans les pays voisins, ce qui signifie que ces personnes se déplacent pour des raisons liées à la violence ayant élu domicile dans la région. Il est en effet peu probable que des motifs économiques expliquent des déplacements de cette envergure. On voit bien sur la Figure 1 que le début de la deuxième guerre du Congo (à partir de 1998) ouvre un épisode particulier qui ne baisse d’intensité qu’après la signature de l’Accord de Sun City et des accords de cessez-le-feu avec l’Ouganda et le Rwanda. Un deuxième épisode commence avec l’aventure du CNDP en 2008 et ne s’est pas arrêté depuis car relayé par l’aventure du M23.
La répartition des réfugiés congolais par pays de destination dans la région (Figure 2) est un bon indicateur des mutations migratoires. A partir de la fin des années 1980, le Sud Kivu vit les premières secousses des relations tendues entre communautés. Il va en découler des vagues d’émigrés vers la Tanzanie et le Burundi. Ce mouvement s’intensifie quand éclate la rébellion de l’AFDL à partir de la même province du Sud Kivu. Après 2008, on assiste à des mouvements plus orientés vers l’Ouganda qui devient la première destination des réfugiés congolais. Les échanges migratoires entre la RDC et l’Ouganda sont orientés vers l’Ouganda depuis lors (Figure 3) tandis que les échanges entre la RDC et le Rwanda (Figure 4) révèlent une situation moins nette. Après la vague des réfugiés subséquente au génocide rwandais en 1994, les flux migratoires entre les deux pays se sont tassés entre 1997 et 2008. On peut noter un regain après 2008, surtout à partir de 2015, année à partir de laquelle il y a plus de citoyens rwandais trouvant asile en RDC que l’inverse. Selon le HCR (https://data.unhcr.org/en/documents/details/107909), au 31 mars 2024, il y a 206 865 réfugiés et demandeurs d’asile rwandais en RDC dont 75 697 seulement sont vérifiés par le HCR (Figure 5). Le Nord Kivu abrite 79 % de ces réfugiés. Le nombre des réfugiés rwandais est comparable aux 212 437 réfugiés centrafricains installés dans les provinces du Nord Ubangi, Bas Uélé, Sud Ubangi, et Haut Uélé (https://data.unhcr.org/en/documents/details/107908). Les réfugiés rwandais et centrafricains représentent 80 % du total des réfugiés et demandeurs d’asile en Rdc. A contrario, au 31 mars 2024, le Rwanda abrite 83 463 réfugiés congolais.
Le plus dramatique dans ce décor, c’est le nombre des Personnes Déplacées Internes (PDI). On voit sur la Figure 1 que ce nombre est en perpétuelle croissance depuis qu’il a franchi la barre de 1 million après 2002. La RDC est actuellement le pays avec le plus de PDI en Afrique (7,1 millions au 31 mars 2024). Quand on associe ce chiffre avec celui des personnes retournant dans leurs milieux d’origine (2,62 millions au 31 mars 2024), on a une idée exacte des tribulations subies, le plus souvent de manière répétitive, par les populations du Nord Kivu, Sud Kivu, Ituri, et d’autres provinces. Pour le seul mois de février 2024, 358 000 personnes se sont déplacées (74 % au Sud Kivu) et 41 200 sont retournées. Les attaques et affrontements armés sont responsables de 6 millions de déplacements (86 %). Le Nord Kivu vient en tête des provinces les plus affectées (2,63 millions de déplacés et 1,4 million de retournés), suivi du Sud Kivu (1,9 million de déplacés et 238 000 de retournés), et de l’Ituri (1,79 million de déplacés et 710 000 de retournés). Une prochaine note va aborder la question de la course aux ressources naturelles, notamment les métaux stratégiques