Entretien exclusif avec Xavier Driencourt: «L’Algérie trouvera toujours un bouc émissaire à ses difficultés»

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Les diplomates de son acabit sont monnaie rare de nos jours. Xavier Driencourt, ambassadeur de France en Algérie durant sept années (2008-2012 et 2017-2020) a dû affronter et composer avec un régime qui a érigé la haine de la France et du Maroc en doxa nationale. Sa droiture et sa fermeté intellectuelles et morales, qualités puisées directement dans l’héritage du gaullisme, étaient toutefois pour lui des plus salvatrices durant ces deux différentes périodes. Il nous en parle.

Dans cet entretien en exclusivité pour Le360, l’auteur de «L’Énigme algérienne», paru en 2022 (La seconde édition, en collection de poche, sera en librairie dès le 20 mars) dissèque, à la lumière des derniers développements, la relation entre la France et l’Algérie, apporte son éclairage sur les raisons de l’obsession algérienne vis-à-vis de la question du Sahara marocain et analyse le mode de fonctionnement interne du régime algérien, entre autres sujets.

Le360: Après avoir passé sept ans à la tête de la représentation diplomatique française en Algérie, vous êtes devenu un fin connaisseur de ce pays, comme en témoigne votre livre «L’Énigme algérienne». Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur l’état actuel des relations entre la France et l’Algérie sous le mandat d’Abdelmajid Tebboune?

Xavier Driencourt: Les relations entre la France et l’Algérie ne sont pas formidables, c’est le moins qu’on puisse dire, malgré les diverses rencontres, entre historiens, entre hommes d’affaires, etc. J’ai l’impression, à lire la presse, que pas grand-chose n’avance. Du côté français, beaucoup de gestes et de concessions ont été faits, mais du côté algérien, à chaque fois, on met la barre plus haut. Une tactique bien rodée.

Quid des relations entre le Maroc et l’Algérie? Comment analysez-vous l’hostilité de l’Algérie, qui abrite le Polisario, à la marocanité du Sahara et au Maroc, que vous avez qualifié dans votre opus d«éternel bouc émissaire» (avec la France) du régime algérien?

La question du Sahara reste une question de principe pour Alger. Il y a beaucoup d’intérêts derrière ce dossier. Il n’y a guère aujourd’hui que l’Algérie qui s’intéresse encore à cette question; elle voudrait en faire un dossier capital, un peu comme l’Alsace-Lorraine autrefois entre la France et l’Allemagne.

Vous avez affirmé à maintes reprises que l’Algérie n’est pas le Maroc. Qu’est-ce qui distingue, à vos yeux, ces deux pays voisins, notamment sur les plan politico-diplomatique et culturel?

Le mode de gouvernance des deux pays est différent, le passé est différent, l’histoire également et bien sûr les relations avec la France sont différentes. Vous avez en Algérie «un système politico-militaire», pour reprendre l’expression utilisée par le Président Macron, dans lequel l’armée, l’ANP, est la véritable colonne vertébrale, et, comme le dit également le Président de la République, une «légitimité qui réside dans un discours anti-français et une falsification de l’histoire». Donc, forcément cela complique l’équation.

Récemment vous avez déclaré à un quotidien français qu’on ne revient pas «indemne» de l’Algérie, dont les dirigeants vouent une haine viscérale aux Français et à la France. Avez-vous déjà craint pour votre vie là-bas?

Question sensible à laquelle il est préférable de ne pas répondre.

Vous avez, à plusieurs reprises, dénoncé les accords de 1968, équivalents à un «calendrier de l’Avent» au profit de l’Algérie puisqu’ils offrent un statut discriminatoire très favorable aux immigrés algériens. Croyez-vous qu’il est temps aujourd’hui de l’abroger?

C’est exact. La note de la Fondapol sur la nécessité de revoir ou d’abroger l’accord de 1968, en mai dernier, a été reprise par une bonne partie de la classe politique française, du RN (Rassemblement national, ndlr) à Édouard Philippe, en passant par Éric Zemmour, Nicolas Sarkozy, Éric Ciotti, Gérard Larcher, etc. Le ministre de l’Intérieur n’a pas souhaité reprendre l’idée, mais indiscutablement, la question est désormais sur la table.

Vous avez constaté, de visu, la montée en puissance, depuis 2019, de l’armée algérienne de façon omnipotente et inédite. Aujourd’hui, tous les analystes s’accordent à dire que l’Algérie est dirigée à 100% par une «junte militaire». Partagez-vous ce constat? Et quelle place reste-t-il pour la diplomatie dans un régime régi essentiellement par des généraux?

C’est plus compliqué que vous ne le dites. Non, l’Algérie n’est pas, en tout cas c’est mon sentiment, dirigée à 100% par l’ANP. Ce qu’on appelle le «Système», c’est un mode de gouvernance dans lequel, effectivement, l’armée a une part prépondérante, un rôle essentiel, intervient dans le jeu politique de manière parfois subtile, parfois brutale, tout en donnant le sentiment aux étrangers, et donc aux gouvernements tiers, de ne pas être «sur le devant de la scène». C’est extrêmement bien vu, car les observateurs étrangers «tombent dans le panneau»: il y a des institutions souvent calquées sur les institutions françaises, un Parlement, deux Chambres, un président élu pour cinq ans, même un Conseil constitutionnel, mais le jeu politique ne se situe pas là, il se situe ailleurs.

Selon vous, jusqu’à quand le régime actuel pourrait-il maintenir sa vitalité et sa pérennité grâce à l’armée? De l’avis de plusieurs observateurs, l’ère post-pétrole est d’ores et déjà annonciatrice d’une kyrielle de difficultés, notamment socio-économiques.

Impossible de le dire. L’armée veille et tant que le discours anti-français est mis en avant, il y aura toujours un bouc émissaire aux difficultés du pays.

Par Saad Bouzrou

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